Maria Guerra et la recherche sur l’or

Alma Mater s’est rendu dans le laboratoire Monaris (De la molécule aux nano-objets : réactivité, interactions et spectroscopies UMR 8233) une unité mixte de recherche associant Sorbonne-Université et CNRS. Lors d’une rencontre avec la directrice de recherche CNRS Maria Guerra, nous nous sommes plongés dans la compréhension des rouages de ce laboratoire dont les projets fusionnent harmonieusement les domaines des sciences, de l’histoire et de l’archéologie. Dotée d’une formation initiale en physique nucléaire, Maria Guerra a développé des techniques d’analyse d’objets en or et en argent du patrimoine culturel qui se fondent entre autres sur des accélérateurs de particules. C’est au Centre de recherche des musées de France, situé au musée du Louvre, qu’elle s’intéresse pour la première fois à l’or égyptien.

Mes choix sont toujours orientés vers l’histoire, bien que je ne sois pas historienne. Étant de formation scientifique, la remise en contexte demeure incontournable pour approfondir la compréhension du cheminement des matériaux, tant du point de vue commercial, depuis leur extraction minière, que de leur transformation artisanale. Cela englobe également leur utilisation artistique et rituelle, jusqu’à leur éventuel recyclage. Le domaine nécessite un passage par des techniques qui seules peuvent être apprises au travers d’une formation scientifique.

Selon le lieu d’étude de l’objet, les contraintes logistiques peuvent varier considérablement. Lors de voyages dans certaines régions, notamment en Amérique du Sud, il est souvent impossible de transporter un équipement encombrant, ce qui nécessite de se limiter à l’essentiel : ses yeux, une loupe, un microscope et quelques équipements portables d’analyse. Dans de petites communautés qui ne bénéficient pas d’un accès à l’électricité, l’utilisation d’un générateur s’avère également nécessaire. En laboratoire, les analyses se font de manière plus sophistiquée, mais c’est aussi tout un combat : la disponibilité de gros équipements n’est pas permanente. En effet, si des techniques comme la spectrométrie de masse avec source d’ionisation par plasma à couplage inductif (ICP-MS) sont assez accessibles, pour utiliser par exemple la technique de fluorescence X sous rayonnement synchrotron (SR-XRF) qui utilise ce rayonnement pour exciter les atomes de l’échantillon, produisant ainsi un rayon X caractéristique des éléments le composant, il faut soumettre des demandes d’accès à du temps de faisceau plusieurs semaines ou mois auparavant.

Ces techniques permettent de déterminer la composition des objets et de comprendre comment ils ont été produits. Par exemple, la concentration particulière des éléments tracés dans les alliages d’or permet de reconnaître l’exploitation d’un type de gisement (primaire ou secondaire) et parfois même d’une région minière donnée. L’or primaire se trouve dans la roche alors que l’or secondaire (l’or alluvionnaire par exemple) résulte de l’érosion des gisements primaires. En général, la présence d’étain et de platine dans les objets en or montre l’utilisation d’or alluvionnaire. Ceci est le cas des objets égyptiens en or que nous avons étudiés.

Les objets proviennent de musées. Le CNRS étant une institution publique, les interactions avec le monde privé sont rares. En ce qui concerne l’Égypte, ce sont essentiellement des bijoux et de la feuille de décoration. Dans leur grande majorité, ils ont été trouvés dans des tombes. Lorsqu’un archéologue trouve des objets en or, ils sont mis en sécurité et le site de fouille est en général bien surveillé.

Ce travail interdisciplinaire a commencé il y a plus de dix ans grâce à un projet France-Royaume-Uni subventionné par le CNRS (PICS 5995) et à la collaboration avec la University College London, l’Institut d’études archéo-métallurgiques et le musée Petrie d’archéologie égyptienne ainsi qu’avec les laboratoires du British Museum et du National Museum Scotland. Au fil du temps, d’autres laboratoires spécialisés dans l’analyse et la conservation d’orfèvrerie ancienne ont apporté leur contribution au projet et nous avons également eu accès à de riches collections comme celles du musée du Louvre, du musée d’Archéologie de Garstang et du musée de Manchester. Au total, six musées ont contribué à l’écriture de ce livre. En matière de recherche, les spécialistes proviennent de divers endroits tels que Berlin, Bamberg, Pise, Cambridge etc.

Dans le cadre de ce type de collaborations, on accorde la confiance aux chercheurs qui travaillent dans le domaine. Dans mon cas, je collabore depuis plusieurs dizaines d’années avec les musées où mon travail sur les métaux précieux est connu et reconnu. Ainsi, le montage de ce projet ne m’a jamais posé de problèmes. Cependant, cette confiance se construit et il se peut que d’autres personnes ne soient pas perçues de la même manière, ce qui peut entraîner des limitations d’accès aux objets.

D’une façon générale, l’or est réservé à l’élite – les familles royales et les nobles. La plupart du temps, les objets présents dans les autres tombes sont plutôt en argent (souvent dans celles des nobles) et en alliage de cuivre. Les alliages d’or « moins purs » sont plutôt rougeâtres par addition de cuivre et blanchâtres par addition d’argent. Dans le cas de l’Égypte, ces alliages semblent correspondre plutôt à des choix esthétiques qu’à une question de niveau social du défunt. Néanmoins, dans certaines sociétés les défunts sont enterrés avec les bijoux qu’ils portaient vivants, dont certains étaient en or. Parfois, ces bijoux sont plus anciens, certainement transmis au fil des générations.

Nous n’avons pas cherché l’origine de l’or égyptien. L’Égypte a beaucoup de sources d’or, et c’est naturellement de là que provient ce métal. Nous avons observé la présence quasi constante à la surface des objets de petites inclusions d’éléments du groupe du platine, montrant l’utilisation d’or alluvionnaire. Nous avons ainsi cherché à vérifier jusqu’à quand l’or utilisé est d’origine alluvionnaire et à comprendre l’évolution technologique des techniques d’orfèvrerie. Par exemple, la granulation apparaît soudainement en Égypte sous la douzième Dynastie, mais est depuis longtemps employée dans les régions asiatiques. Nous avons pu proposer l’importation de cette technique de décoration du Moyen-Orient. Vous pouvez trouver ceci dans le livre, au chapitre 8.5 « Granulation in Egypt and the cylindrical amulet from Haraga ». Il s’agit du seul objet analysé dans ce travail qui n’ait pas été soudé avec la technique traditionnelle égyptienne.

D’un simple coup d’œil, on peut appréhender certains détails particuliers, parfois même la composition de l’or, tel un professionnel du monde de l’art. Par exemple, selon les proportions de cuivre et d’argent, les alliages d’or possèdent une couleur et une réflectivité particulières. Il est aussi possible d’observer l’usure des pièces. Par exemple, l’orfèvrerie en or des Mérovingiens est très souvent usée. C’est une période « pauvre ». Au contraire, l’orfèvrerie des tombes mycéniennes étant essentiellement funéraire, elle ne présente pas de traces d’usure. On peut remarquer très rapidement la corrosion d’un objet en or qui est due à la présence d’argent et de cuivre dans l’alliage. La corrosion atmosphérique de l’or se traduit par des tâches irisées provoquées par une couche d’épaisseur nanométrique de produits de corrosion à base de soufre.

La période égyptienne antique est très longue et pas totalement comprise, mais, comme pour toute civilisation, il y a eu des hauts et des bas dans l’économie avec des périodes intermédiaires pauvres, marquées par des conflits internes, des troubles politiques et des faiblesses économiques. Il est facile de déterminer la composition des alliages d’or et l’on peut ainsi retrouver la composition des objets en or de ces périodes. Nous avons observé pour la première période intermédiaire l’utilisation d’alliages avec des quantités plus élevées de cuivre. L’addition de cuivre baisse la température de fusion de l’alliage d’or, mais ces alliages rougeâtres peuvent aussi correspondre à un choix esthétique. Néanmoins, les objets datant de la deuxième période intermédiaire sont ceux qui montrent une plus grande variété d’alliages et qui ont le plus grand nombre de traces d’usure. 

Les banques de données contribuent à certaines études et font actuellement partie des projets soumis pour financement. Dans le cas de l’or, si par exemple nous souhaitons établir les routes d’approvisionnement, nous devons pouvoir déterminer la provenance de l’or utilisé à une certaine période par une certaine civilisation. Ainsi, il faudra construire une banque de données appropriée par analyse d’objets pertinents, ce qui peut s’avérer difficile car les objets en or sont plutôt rares.

Maria F. Guerra, Marcos Martinón-Torres, Stephen Quirke, Ancient Egyptian gold. Archaeology and science in jewellery (3500-1000 BC), Cambridge, McDonald Institute for Archaeological Research, 2023.
Lien du téléchargement du livre : https://doi.org/10.17863/CAM.99675

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