Souvenir et vécu : deux expériences en miroir inversé ?

Lorsqu’on se souvient de quelque chose, c’est qu’on l’a vécu. Au premier abord, souvenir et vécu semblent donc similaires puisque l’un est comme la réflexion de l’autre. Mais quand on regarde plus en détail, les deux comportent de nombreuses oppositions. Souvenir et vécu formeraient-ils ainsi un système de dualité ?

W ou le Souvenir d’enfance de Georges Perec permet d’explorer ce rapport ambivalent au travers de chapitres autobiographiques sur l’enfance de l’auteur. En effet, la connivence entre souvenir et vécu est remise en question dès le début : « Je n’ai pas de souvenirs d’enfance », alors que c’est précisément l’objet du livre.

Avec cette phrase, on peut penser que le souvenir sera inventé de toutes pièces. C’est ce que fait Georges Perec dans un épisode où il explique avoir eu le bras en écharpe, puis critique aussitôt ce souvenir comme étant un faux. En le créant, l’auteur montre que le vécu et le souvenir ne coïncident pas toujours. Ce dernier serait donc variable et créable, alors que le vécu est figé. Il y a donc une réelle opposition sur l’essence de ces deux éléments.

Il ne s’agit pas de la seule différence, car les deux ne se forment également pas de la même manière. Dans un récit de ses souvenirs, l’auteur insère des chiffres qui renvoient à des notes situées à la fin du texte. Ce sont des précisions ou des modifications que l’auteur apporte à son récit. De fait, cette organisation est révélatrice : à l’instant où il est sollicité, le souvenir n’est pas entier. Il est complété avec le temps. La dualité transparaît donc aussi sur le plan de la temporalité. Le vécu serait immédiat tandis que le souvenir prend du temps à refaire surface et à se former.

Le système de dualité se traduit donc par des oppositions entre vrai et faux ainsi qu’entre présent et passé. Toutefois, est-ce que dualité veut forcément dire opposition ? La seconde partie du livre est consacrée en grande partie à l’histoire fictive de W, dont la description peut être assimilée à celle des camps de concentration. Cette histoire semble être le double de la réalité. Georges Perec n’a pas vécu en camp de concentration, mais son imagination permet de percevoir cette réalité et ainsi d’en créer un quasi-souvenir. Souvenir et vécu forment ainsi un binôme. Ils fonctionnent ensemble en se complétant par leurs différences.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *