« Je vole pour avoir des aliments de qualité. » Marie [prénom modifié], 24 ans, étudiante en langue, dérobe régulièrement de l’huile d’olive ou des légumes bio dans des grandes enseignes. Elle n’est pas la seule, d’après des témoignages recueillis auprès de trois étudiantes. Plusieurs articles de presse ont révélé cette tendance qui prend de l’ampleur. De multiples études ont démontré la précarité des étudiants.
En septembre 2023, en plein contexte inflationniste, la moitié des étudiants interrogés par l’IFOP déclarent avoir déjà renoncé à des produits alimentaires à cause du prix1.Plus récemment, une étude commandée par l’association COP1 à l’IFOP révèle que 36
Pour d’autres, c’est l’inaccessibilité à une nourriture de qualité qui pose problème. C’est une question de sécurité alimentaire. Elle « existe lorsque tous les êtres humains ont, à tout moment, un accès physique et économique à une nourriture suffisante, saine et nutritive leur permettant de satisfaire leurs besoins énergétiques et leurs préférences alimentaires pour mener une vie saine et active » selon la définition donnée lors du Sommet mondial de l’alimentation en 1996. L’inflation et la crise du bio ont fait flamber les prix des produits bio, les rendant inaccessibles aux étudiants qui, pour la plupart, ont un budget serré. « Le vol me permet d’avoir accès à des produits auxquels je n’aurais pas accès », explique Marie. « Je pourrais me débrouiller autrement, mais si c’était le cas, je serais obligée de me priver de sorties ou d’autres activités. » De son côté, Lili [prénom modifié], 23 ans, étudiante en droit, dénonce : « Les étudiants n’ont pas d’argent, [les supermarchés] sont des gros acteurs privés, c’est normal que je puisse bien me nourrir. » Au mécontentement se mêlent un sentiment d’indignation et une conscience écologique. « C’est une révolte face aux prix appliqués. C’est injuste de se dire que certaines personnes ont beaucoup d’argent, pourquoi moi je devrais respecter une règle morale, alors que certaines personnes ont des jets privés. Pourquoi moi je devrais me priver de bien manger. », s’insurge Marie. L’ensemble des étudiantes déclarent voler uniquement dans des grandes enseignes. Conscientes d’aller à l’encontre de la loi, elles préfèreraient payer l’ensemble de leurs courses.
Sabrina Cerqueira, professeure de philosophie et autrice de l’essai Voler (éd. Rue de l’échiquier, 2012), affirme qu’il est surtout question de la pauvreté des étudiants plus que leurs interrogations morales. Elle interroge le système : « comment se fait-il dans une société dite riche, que l’on entretienne une population de jeunes adultes dans une situation où ils sont privés des moyens de subsister ? »
Est ici soulevée la question du droit à l’alimentation correspondant au droit d’avoir suffisamment de nourriture disponible, de qualité, et d’y avoir accès dignement. En 1996, le Sommet mondial de l’alimentation sous l’égide de l’ONU a lieu, il permettra la prise en compte du droit à l’alimentation comme un droit humain et indivisible. Aujourd’hui, en France, la nourriture est disponible en abondance, mais il reste la question de l’accès. Dans la définition ci-dessus, l’une des dimensions de l’accès est le facteur économique. Avec l’inflation, cet accès à « une nourriture suffisante, saine et nutritive » est remis en cause. « C’est hallucinant qu’il y ait des gens en France qui soient exclus de pouvoir se nourrir avec des produits de qualité », conclut Lili.
Gabrielle Cartelier
Crédits photographiques :
Sources :
Voler pour mieux manger, c’est ok ?
Précarité étudiante : voler pour s’en sortir – Bondy Blog
Des étudiants obligés de voler pour manger | StreetPress
Voler pour manger à sa faim: la réalité de la précarité étudiante | Mouv’
Pourquoi un jeune français sur trois saute un repas – YouTube
Précarité : près d’un étudiant sur cinq a recours à l’aide alimentaire, souligne un rapport
La précarité étudiante en France : quelle réalité en 2024 ? – IFOP