Une étude de l’INED publiée ce 18 décembre révèle qu’à la maison, les filles font plus que les garçons. Selon Anne Solza, chercheuse à l’INED et co-autrice de l’étude, il s’agirait d’une réaction en mimétisme au comportement des parents.
En 2022, la thèse de Stéphane Benveniste, chercheur à l’INED sur les inégalités de richesses et d’éducation, révèle qu’un candidat dont le père est passé par une grande école a 80 fois plus de chances d’intégrer cette école. Bourdieu, sociologue de la seconde moitié du XXe siècle, parle de déterminisme social. Le milieu social, le genre et l’école sont des déterminants dans la construction de l’individu et ses possibilités de carrière. Les individus ne seraient pas pleinement libres mais conditionnés par leurs origines sociales. Ce milieu social serait un déterminant de notre culture, de nos connaissances et de notre capital économique, confirmant les adages « tel père, tel fils » et « telle mère, telle fille. »
Pourtant, la condition féminine a profondément évolué depuis la fin du XIXe siècle. La loi de l’égalité devant l’instruction de 1882 rend l’enseignement obligatoire pour tous les enfants quel que soit leur genre. En 1919, le baccalauréat féminin est instauré, avec un programme unique pour tous les bacheliers à partir de 1924. Une autre étape fondamentale est franchie en 1983 quand la première loi sur l’égalité professionnelle est votée. Elle interdit toutes les discriminations liées au sexe dans le domaine professionnel. Cette loi a été renforcée en 2006 pour lutter contre les écarts de rémunérations entre les sexes.
Jusqu’en 2015, l’Insee observait principalement la mobilité sociale entre les pères et les fils.
Mais les changements législatifs ont conduit à également observer la mobilité sociale entre mère et fille en raison des changements profonds ayant lieu d’une génération à une autre. La mobilité sociale désigne l’ascension sociale ou le déclassement d’un individu par rapport à la position sociale de ses parents. Grâce à l’accès généralisé à l’éducation et la massification du travail féminin, les femmes acquièrent des compétences. L’Insee observe plutôt une position sociale ascendante des filles par rapport à leur mère. En 2015, selon l’Insee, le taux de mobilité sociale intergénérationnelle féminine (les filles par rapport aux mères) dépasse de six points le taux masculin (les fils par rapport à leur père) en 20151.
Cela passe aussi par l’évolution de la structure des emplois. Alors que plus de 30 % des mères étaient agricultrices exploitantes en 1977, en 2015, cela concerne moins de 10 % des mères. A contrario, les professions intermédiaires, les métiers intermédiaires entre les cadres et les employés ou ouvriers, se sont fortement développées. Il y avait moins de 5 % des mères occupaient ces postes en 1977. En 2015, l’augmentation d’occupation des professions intermédiaires est de 15% entre les mères et leurs filles.
Malgré tout, l’Insee observe que le genre reste l’un des déterminismes principaux. Atteindre le haut de l’échelle sociale est plus fréquent pour les hommes. Ils bénéficient d’une mobilité sociale dans les postes de cadres plus importants (50 %), alors que celle des femmes est restée immobile entre 1977 et 2015.
La position des filles par rapport à leurs pères est révélatrice. En 2014, 26 % des femmes sont descendues dans l’échelle sociale contre 16,3 % des fils par rapport au père. Il est encore difficile pour les femmes d’occuper des postes importants. Un plafond de verre bloque leur ascension sociale.
L’étude de l’Insee révèle que le genre a encore une place importante dans l’éducation et la mobilité sociale des femmes par rapport à leurs mères.
En ce qui concerne les habitudes, les parents transmettent à leurs filles une charge mentale liée aux tâches ménagères plus importante que les garçons.Cela peut bloquer l’ascension sociale. La nouvelle étude de l’INED sur la participation des enfants aux tâches ménagères relève que 70 % des filles interrogées aident à plier ou étendre le linge de temps en temps, contre 50 % des garçons2.
Cette répartition genrée des tâches s’observe aussi dans les aptitudes scolaires des enfants. En 2023, selon l’étude internationale TIMSS3, la France est le pays où l’écart de performance entre filles et garçons en mathématiques en classe de CM1 est le plus important. La cause est à chercher du côté des stéréotypes de genre selon l’Institut des politiques publiques. Celui-ci montre que le stéréotype selon lequel les garçons seraient meilleurs en mathématiques a la vie dure. L’institut des politiques publiques relève aussi l’effet de ce cliché sur le manque de confiance des filles dans leurs capacités en mathématiques. Par ailleurs, comme leurs mères, les filles ont plus tendance à s’orienter vers des métiers du « care ». Ce sont des métiers où il faut prendre soin de l’autre, de service à la personne. Par exemple, aides soignantes, assistantes sociales et auxiliaires de vie sont des métiers massivement occupés par des femmes. Les études de l’Insee confirment des progrès vers l’égalité d’accès à l’emploi et au travail entre les hommes et les femmes, mais les stéréotypes de genre sont encore très ancrés dans notre société. L’adage « telle mère, telle fille » n’est toujours pas caduc.
Gabrielle Cartellier
Sources :
En mathématiques, les résultats des filles plombés par les stéréotypes de genre
Chez les enfants aussi, les filles en font plus que les garçons à la maison – Libération
Evolution des droits des femmes au travail en 17 dates clés
Le déterminisme social selon Bourdieu – Apprendre la philosophie
Tel père, tel fils ? L’inégalité des chances reste élevée – Centre d’observation de la société
Notes de bas de page :
- La mobilité sociale des femmes et des hommes : évolutions entre 1977 et 2015 ? France, portrait social | Insee ↩︎
- Quelle participation des enfants aux tâches domestiques ? – Ined – Institut national d’études démographiques ↩︎
- Le niveau des élèves français en maths et en sciences est en dessous de la moyenne de l’OCDE mais cesse de chuter, selon une étude internationale, France Info. ↩︎