L’héritage chez les drag queens

Si le mot « héritage » évoque la succession et donc la famille, il existe un monde où la famille peut se redéfinir : le drag. Le drag est une forme de performance qui emploie notamment le vêtement, le maquillage, la coiffure et l’expression scénique pour jouer sur un genre de façon exagérée que ce soit la féminité pour les drag queens, la masculinité pour les drag king ou d’autres formes d’expressions de genre (drag queer, drag monster…). Nous allons surtout ici nous concentrer sur le cas drag queen, davantage mis en avant aujourd’hui par l’émission RuPaul’s Drag Race. 

Pour mieux comprendre tout cela, il est nécessaire de revenir un peu en arrière dans l’histoire. Les battles de rue se transforment en battles dans des espaces clos qui deviendront des lieux de sociabilité gays et lesbiens à partir des années 1960-1970. On parle alors de scène Ballroom dans les 1920 à Harlem (salle de bal où se déroule les performances), où  des concours de drag organisés en houses

Même si les performances drag artistiques sont souvent fortement marquées de critique sociale et politique, le racisme gangrène la scène. Ainsi, c’est après avoir perdu un concours face à un jury majoritairement blanc, composé entre autres d’Andy Warhol, que Crystal Labeija donne naissance à la House of Labeija en 1977, encore active aujourd’hui. 

Le terme houses est partie intégrante de cette révolte puisqu’il renvoie entre autres aux maisons de couture, détournant alors les codes des élites blanches. Là où les personnes non-blanches étaient évincées des podiums de défilés, elles pouvaient briller dans leur propre house de drag. 

Le terme désigne aussi une seconde famille, voire une famille de substitution. Une notion particulièrement puissante pour les queers rejetés de leur famille, nombreux à l’époque de la création de la scène Ballroom. Par exemple, « Mother » est la drag queen qui initie ses drag daughters. Ainsi, quand on dit que la House of Labeija est encore active, c’est qu’elle a une descendance qui performe en son nom. 

Une autre célèbre maison drag est la House of Dupree, fondée par Paris Dupree, apparue dans le documentaire Paris is Burning de Jennie Livingston en 1991. 

Mais si le drag a reconnu une importante notoriété aujourd’hui, même hors de la communauté LGBT c’est en grande partie par la franchise de RuPaul. Là aussi, on retrouve la notion de houses qui prend son sens. La série déclinée sur 16 saisons aux États-Unis, nous à donné la chance d’observer en compétition tant les drag mothers que leur drag daughters. On peut noter par exemple Alexis Mateo, drag queen de la saison 3 et sa drag daughter Vanessa Vanjie Mateo qui a participé aux dixième et onzième saisons de RuPaul’s Drag Race US ainsi qu’à la récente saison 9 de Drag Race All Stars. 

Nous pouvons alors remarquer que la descendance se remarque dans le choix du nom de drag. Dans cet exemple, il y a reprise du nom « Mateo » qui illustre leur affiliation. Mais l’héritage ne se résume pas qu’à un nom. Dans les interviews on retrouve des drag queens qui parlent de la famille drag qui a pu les accueillir dans un contexte ou leur famille réelle (biologique ou adoptive) n’ont pas nécessairement été très ouvertes d’esprit. Il y a alors une question d’honneur à porter pour la famille à laquelle on appartient. Qu’elles aient figuré dans la franchise de RuPaul auparavant ou nom, les drag queens mentionnent comment leur famille suit leur parcours à la télévision et comment elles doivent porter honneur au nom de leur maison. Il y a presque un côté chevaleresque dans ce monde à paillettes. 

En plus de cette expression de la drag family dans l’émission télévisée, un exercice renvoie directement aux houses dans la compétition de RuPaul. Il s’agit d’une épreuve où les drag queens concurrentes doivent transformer un invité ou une invitée en drag daughter, drag sister ou drag mother (fille drag, sœur drag ou mère drag selon l’âge généralement).Les invités peuvent être des membres de leur famille réelle, des amis, des membres d’une association… C’est l’occasion pour chaque queen de montrer sa personnalité par un exercice où elle doit créer une ressemblance de famille entre elle et l’invité.e. La difficulté est non seulement dans l’apprentissage du catwalk ou autre, mais aussi dans la connexion à créer avec l’invité.e et la ressemblance dans la tenue, le mug (maquillage) et l’attitude. L’épreuve consiste aussi à trouver un nom de drag queen pour l’invité.e transformé.e, encore une fois dans une logique de descendance familiale. C’est souvent l’occasion de jeu de mots. On peut noter par exemple dans la récente saison 16 de RuPaul’s Drag Race USA la drag queen Plane Jane qui a nommé sa drag sister d’un épisode « Lazy Susan ». 

Aujourd’hui, beaucoup de performers drag (et pas seulement les drag queen) sont donc organisés en famille où chacun/e occupe un rôle grâce à son personnage. En reprenant alors une structure traditionnelle où le genre est normalement si marqué, la famille en house se transforme en lieu d’entraide, née pour aider des artistes sans toits, sans argent et sans famille. 

Voilà donc la merveilleuse histoire de l’héritage chez les drag queens où force et honneur doivent se transmettre à la descendance en portant haut et fier le nom de sa maison drag. 

Crédits illustration : Orane Mathey-Nuez

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