« Et comment t’y prendras-tu, Socrate, pour chercher ce que tu ne connais en aucune manière ? Quel principe prendras-tu, dans ton ignorance, pour te guider dans cette recherche ? Et quand tu viendrais à le rencontrer, comment le reconnaîtrais-tu, ne l’ayant jamais connu ? » répond Ménon à Socrate dans le dialogue homonyme de Platon.
Pour guide, la recherche scientifique a eu son héritage. Depuis toujours, elle consiste à remettre en question les théories établies par les chercheurs ayant précédé dans son histoire et à les développer.
La représentation de l’univers a été plusieurs fois remise en cause, notamment en passant du modèle géocentrique au modèle héliocentrique. Un changement de pensée si contradictoire avec les mentalités de l’époque que cela valut un procès à Galilée en 1663.
De manière plus récente, la remise en question par Albert Einstein dans les premières années du XXe siècle de la mécanique newtonienne, dite également classique, fut un événement majeur dans la compréhension des lois physiques de notre univers. Ses travaux sur la relativité restreinte et, quelques années plus tard, la relativité générale, bouleverseront les idées héritées de Galilée et de Newton. Ces publications marquèrent le début d’un nouvel arc de la recherche en physique.
Cette ère de révolution marqua aussi le début des travaux sur la physique et la mécanique quantique menés par les plus grands physiciens du siècle. Le congrès de Solvay de 1927 en fut un événement marquant, avec une photographie des personnes présentes restées dans l’histoire. Vision mémorable rassemblant sur une même image, et de manière non exhaustive, Marie Curie, Albert Einstein ou encore Erwin Schrödinger. Des noms qui sont aujourd’hui connus de tous.
Ces principes fondamentaux mis en lumière, il y a de cela un siècle, sont présents partout autour de nous aujourd’hui, que cela soit au cœur de nos smartphones ou des centrales nucléaires qui les rechargent.
Cette remise en question constante des théories et théorèmes précédemment établies provient notamment de la notion de reproductibilité de l’expérience.
En effet, cette recherche de la capacité de reproduction afin d’obtenir les mêmes résultats permet l’identification de problématiques nouvelles et la progression des théories afin d’atteindre un stade le plus proche de la réalité.
Un des principes fondamentaux étant de considérer un théorème démontré comme étant valide jusqu’à l’obtention d’une preuve de l’invalidité. De multiples chercheurs travaillent directement — ou indirectement — à démontrer la validité des idées héritées ou à trouver une faille qui permettra leur réécriture.
Mais afin de permettre la création et la transmission de ces connaissances, un vaste réseau et une norme de communication sont nécessaires.
Tandis que le latin et les courriers manuscrits étaient la norme avant l’ère industrielle, la démocratisation des moyens de communications a permis l’accélération de l’avancée de la recherche. La mise en commun des ressources, des idées et des critiques a permis la création ou la réfutation de théories à travers le monde. Cela a également occasionné la redécouverte de documents oubliés ou difficilement accessibles et la poursuite de recherches avec des idées nouvelles et des cheminements nouveaux.
La rédaction de manière claire et compréhensible par le plus grand nombre est donc primordiale afin de permettre un foisonnement des idées des plus importants.
L’hyperspécialisation progressive arrivée durant les dernières décennies, provoquant une individualisation de multiples disciplines, augmente la complexité des publications. Cela s’oppose fortement à la polymathie antique qui liait bon nombre de disciplines, aujourd’hui fortement éloignées les unes des autres.
Associé à un enseignement qui se spécialise nécessairement, cela conduit à une réduction des points de vue et idées provenant d’horizons nouveaux dans des disciplines qui ne sont, d’un point de vue de l’histoire de la science, que très récentes.
L’héritage scientifique, précédemment semblable à une droite, devient ainsi un arbre se répartissant pour guider ses nouveaux héritiers.
Bien que nombreux soient ceux qui ont participé, participent ou participeront à l’écriture de la recherche et l’accumulation des connaissances, ce qui constitue l’héritage scientifique laissé au reste de la communauté ne pourra jamais être complet.
Une conséquence des énoncés du théorème de l’incomplétude de Gödel datant de 1931 et expliquant que les fondements même des mathématiques, et ainsi de l’ensemble des autres sciences, ne pourront jamais être complets. Cela empêchant donc d’expliquer l’ensemble des problématiques rencontrées.
« À quoi te sert-il, Socrate, d’apprendre à jouer de la lyre puisque tu vas mourir ? » questionne Platon, « À savoir jouer de la lyre avant de mourir » lui-répond Socrate, dans les Onze Chapitres sur Platon de Alain.
Mis en parallèle avec la science, cette volonté d’apprentissage est ce qui guide les scientifiques.
Cet héritage scientifique, lutte continuelle pour la vérité, ne pourra être qu’à jamais une éternelle avancée dans la recherche de la connaissance, poussée par une insatiable curiosité.
Jules Perrin de Brichambaut
Crédits illustration : Orane Mathey-Nuez