« Dans une société tiraillée entre l’individualisme et le communautarisme, le lieu du musée est un excellent observatoire de ces identités fluides et multidimensionnelles qui caractérisent nos concitoyens », Comme l’énonçait Audrey Azoulay (alors ministre de la Culture et de la Communication) le 17 mai 2016, à l’occasion du lancement de la Mission Musée du XXIe siècle sous la responsabilité de Jacqueline Eidelman (conservatrice générale du patrimoine), les musées sont des lieux essentiels de dialogue et de communication.
Pourtant, malgré leur rôle dans la promotion de l’éducation dans le monde, la majorité des institutions du secteur culturel ont fermé leurs portes. Cela en a fait le secteur le plus touché par le Covid, avec 90 &percnt de musées fermés, soit 85 000 institutions dans le monde (rapport de l’UNESCO, mai 2020). La fermeture anticipée des musées, vus comme des lieux non-essentiels, a été vivement critiquée : Le Monde titrait « Les musées sont sans doute les lieux où les interactions humaines et les risques de contamination sont les moins avérés ».
Pourquoi maintenir les musées fermés si l’on n’y mange pas, n’y boit pas, n’y fume pas, n’y touche rien, si l’on y parle peu et si l’on s’y croise à peine ? Ce sont sans doute les lieux où les interactions humaines et les risques de contamination sont les moins avérés, d’autant qu’ils accueillent le public durant la journée et peuvent s’accommoder d’un couvre-feu à 18 heures ou 20 heures. Le Monde, 31 Janvier 2021.
La fermeture des musées, en interrompant l’accès aux collections physiques, a forcé la culture à se repenser et à s’investir auprès d’un public qui ne venait plus à elle. Les musées ont amplifié leur visibilité en ligne afin d’inviter leur public à redécouvrir leurs collections. On se souvient notamment du Getty Museum, suivi du Rijksmuseum, qui ont invité leurs publics à reproduire à l’échelle humaine leurs œuvres. Mais si le développement des sites internets des musées et de la programmation culturelle en ligne (ouverture de chaînes YouTube, publications de conférences en ligne, etc.) a pu donner l’impression au public d’un développement particulier de la culture chez soi et d’une mise en place de moyens importants, en réalité les musées se sont essentiellement appuyés sur les ressources déjà existantes afin de les valoriser. Les réseaux sociaux sont devenus un moyen de communication à part entière afin de répondre au besoin éducatif, essentiellement chez les adolescents et jeunes adultes, et de création, comme avec le Getty Museum et le Rijksmuseum.
Les musées ont rappelé leur importance comme lieu de cohésion sociale, amenant les individus à penser leur individualité au sein de groupes que sont l’histoire, les sociétés, les ethnies, les cultures, etc. L’année qui a suivi la réouverture des musées post-Covid a été marquée par un changement dans la sociologie du public des musées, avec une baisse notable des publics scolaires. À l’opposé, on a constaté une explosion de leur fréquentation par les familles et les étudiants. Les visiteurs revenus aux musées ont déclaré leur importance comme activité sociale : on y va entre amis, en famille, après le travail, à la sortie des cours. Le musée apparaît comme une maison commune, où l’on se rend pour se promener et passer du bon temps. La communication importante sur les réseaux sociaux des institutions culturelles a grandement incité les jeunes à se rendre au musée sans occasion particulière, pour découvrir un accrochage, une exposition temporaire, ou tout simplement se distraire. Le Covid aura permis aux publics peu habitués des musées de les découvrir. On note également que contrairement aux idées reçues, les cadres et autres travailleurs aux fonctions supérieures ne sont que peu présents depuis la réouverture des musées, avec l’augmentation du télétravail qui décourage le déplacement vers les musées, souvent situés au cœur des villes. D’un autre côté, les musées ont vu leur cote grimper car rouverts plus tôt que certaines institutions comme celles des arts vivants ou de la musique.
La crise du Covid-19 a été l’occasion de réinventer la perception du musée en France et de repenser l’approche de l’histoire de l’art et des œuvres d’art auprès du public. Pour autant, la vie d’un musée nécessite une présence physique : celle des œuvres d’art, et du public qui leur donne vie. La fermeture des musées durant la période du Covid aura pu raviver la question de l’importance des lieux de culture pour la population française. Du point de vue mondial, cela aura permis de questionner l’accès à la culture. Ainsi, l’accès à la culture numérique rappelle la fracture mondiale, avec des millions de personnes qui n’ont pas accès à Internet, ce qui peut poser plusieurs questions. Si le Covid a pu mettre la lumière sur ces inégalités, qui pourtant touche la moitié de la population mondiale (selon le rapport de l’ITU, 2019), qu’en est-il des résolutions qui ont pu en découler ?
Marie-Valentine Broc
Crédits illustration : Orane Mathey-Nuez
Sources :
- Belkacem Florence, Bruni-Sarkozy Carla, et al. « Les musées sont sans doute les lieux où les risques de contaminations sont les moins avérées», Le Monde, 31 janvier 2021. lien : https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/01/31/les-musees-sont-sans-doute-les-lieux-ou-les-interactions-humaines-et-les-risques-de-contamination-sont-les-moins-averes_6068257_3232.html#:~:text=Ce%20sont%20sans%20doute%20les,18%20heures%20ou%2020%20heures.
- s.n. Les Musées dans le monde face à la pandémie de COVID 19, UNESCO (Paris, 2020).
Eidelman, Jacqueline, Inventer des musées pour demain: rapport de la Mission Musées XXIe siècle rapport au Ministre de la culture et de la communication, Collection des rapports officiels (Impr. de la Direction de l’information légale et administrative, 2016)