« Le monde entier est un théâtre » écrit Shakespeare dans Comme il vous plaira, publié de façon posthume en 1623. De nos jours, même si le théâtre est bien moins au centre de notre société, les mots du barde britannique résonnent encore 400 ans après sa mort.
Né à Stratford-Upon-Avon en Angleterre en 1564 et mort dans la même ville en 1616, il est certainement le plus célèbre des auteurs à travers le monde.
Les adaptations
Nombreuses sont les œuvres iconiques de l’auteur qui nous sont toujours familières. Même si ses textes sont lus et étudiés, ce transfert d’époque qu’effectue Shakespeare est canonisé dans des adaptations toujours plus nombreuses.
Shakespeare est l’auteur le plus adapté. Les statistiques du Guinness World Records confirment cela en 1999, assurant que le Barde cumule un total de 410 adaptations. En 2023, la Internet Movie Database déclare que Shakespeare se retrouve crédité sur plus de 1000 films (produits et en cours de production). Parmi ces statistiques mirobolantes, se retrouve sur le podium Roméo et Juliette avec 51 adaptations à son actif, suivi de près par Macbeth et ses 48 transpositions, puis finalement, Hamlet adapté au cinéma 43 fois.
En revanche, la force de Shakespeare et de ses histoires ne réside pas dans la répétition. Shakespeare s’adapte, il évolue, et il épouse l’époque dans laquelle il se situe. Par exemple, pour être en accord avec les mœurs du XVIIIe siècle qui refusaient la barbarie, le barde se voit réécrit : le massacre qui conclut Hamlet de Franz Heufeld (1773) est remplacé par une justice politique et légale pacifiste.
Adapter Shakespeare devient alors un genre à part entière.
Une forme de récit shakespearien
De prime abord, il semble que Shakespeare n’est qu’un de ces auteurs classiques que nos instituteurs dépoussièrent de temps à autre pour tenter de nous intéresser à des histoires archaïques. En réalité, les fictions shakespeariennes représentent bien plus. Il est difficile d’imaginer pour un esprit francophone à quel point Shakespeare s’est infiltré dans la construction de nos fictions modernes.
Shakespeare n’a jamais vraiment inventé des histoires, mais plutôt réécrit et adapté des faits historiques. Macbeth est par exemple le récit romancé du roi éponyme d’Écosse (1040-1057) qu’il réadapte de l’historien contemporain de son époque, Raphaël Holinshead, tout en se démarquant dans la construction de son œuvre. Les personnages porteurs de symboles que l’auteur introduit dans ses pièces décrivent profondément les traits humains qui caractérisent la vision qu’il possède de l’humanité. Ce sont aussi des thèmes intemporels et universels qui permettent à Shakespeare de nous parler encore aujourd’hui : que ce soit un amour impossible (Roméo et Juliette), un meurtre pour le pouvoir (Macbeth) ou encore, un héritage convoité (Hamlet). Si ce dernier nous rappelle bien évidemment le succès en 1994 du Roi Lion des studios Disney, abordons un autre film qui est moins connu pour son lien avec le Barde.
Dix bonnes raisons de te larguer (1999) emprunte à Shakespeare l’universalité de l’intrigue de La mégère apprivoisée (1590). Deux sœurs, deux partenaires amoureux potentiels. La plus âgée est considérée comme une « mégère », la plus jeune, désirable. Si la pièce n’aurait pas un succès tonitruant à notre époque, le film de 1999 épouse les stéréotypes discriminatoires qui caractérisent les deux sœurs pour les transposer de nos jours. Kat Stratford (clin d’œil à Stratford-Upon-Avon), est la soeur la plus âgée, et représente ce dont la société patriarcale a peur à cette époque : elle lit des livres féministes, questionne les dynamiques de pouvoir, et n’a pas besoin d’hommes dans sa vie. Bianca Stratford de son côté, est jeune et désirable, mais apparaît parfois immature et en comparaison avec sa sœur, moins éduquée. La morale du film veut que toutes deux restent inchangées, trouvent l’amour, mais reconnaissent leur singularité. L’universalité de Shakespeare fait que cette histoire pourrait être déclinée à l’infini.
West Side Story (1961) réadapte Roméo et Juliette, My Own Private Idaho (1992) est Henry IV, Ex-Machina (2015) s’inspire de Macbeth, The Northman (2022) est la source d’Hamlet… Beaucoup de nos œuvres contemporaines sont shakespeariennes car le dramaturge battit avec ses 39 pièces un héritage culturel indéniable qui va au-delà même de ce que l’on peut imaginer.
Une culture « Shakespeare » ?
Il est courant de retrouver Shakespeare là où on ne le soupçonne pas.
Dans une époque où la langue était en pleine construction, Shakespeare fut l’un de ses plus grands pourvoyeurs. Alors son héritage linguistique se retrouve bien évidemment dans notre langage actuel. La blague des « toc toc » prend par exemple source dans Macbeth (Acte 2 scène 3), et l’expression anglaise « wild-goose chase » dans Roméo et Juliette (Acte 2 scène 4).
Mais Shakespeare fait aussi partie intégrante de notre imaginaire collectif. Quand un personnage tient un crâne dans ses mains, nous ne le remarquons peut-être pas, mais nous avons en face de nous Hamlet s’écriant « Hélas ! Pauvre Yorick ». Ou même, il ne suffit de voir qu’un balcon pour être ramené à Roméo et Juliette, nos amoureux maudits. Puis, il y a la figure de l’auteur. Affectueusement surnommé « le Barde », il reste immuable au fil des siècles, avec son bouc, sa fraise autour du cou et sa plume à la main, toujours à rédiger sur son parchemin des histoires universelles qui nous divertiront sûrement pendant des siècles encore. Le dramaturge Ben Jonson disait lui-même : « ?Shakespeare n’appartient à aucune époque, car il est intemporel », et comme déclare si justement The New York Times, « on ne peut échapper à Shakespeare1 ».
Nina Berthomieu
Crédits illustration : Orane Mathey-Nuez
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