Depuis plusieurs années, l’automédication est devenue une pratique courante, bien que son cadre juridique reste flou. Si elle garantit une certaine autonomie, elle peut également présenter des risques pour la santé. Ainsi, à quel point peut-on permettre l’automédication tout en assurant la protection de la santé publique et le respect des libertés individuelles ?
Une pratique plus courant qu’on ne le pense
Selon l’OMS1, l’automédication est le traitement de certaines maladies par les patients grâce à des médicaments autorisés, accessibles sans ordonnance, sûrs et efficaces, dans les conditions d’utilisation indiquées. Cette pratique inclut l’utilisation de médicaments en accès libre en pharmacie, les compléments alimentaires, l’homéopathie, ou encore les produits issus de la « boîte à pharmacie » personnelle. Elle est principalement utilisée pour traiter des symptômes bénins comme les maux de tête, les douleurs musculaires, la constipation ou les allergies.
Aujourd’hui, grâce à la facilité d’accès à l’information médicale en ligne, l’automédication est de plus en plus courante. Les individus peuvent désormais consulter des sites spécialisés ou des forums pour s’auto-diagnostiquer et trouver des solutions adaptées à leurs symptômes. Ainsi, les patients sont de plus en plus conscients qu’ils ont la « capacité » de se soigner eux-mêmes et cette habitude est souvent perçue comme un moyen de reprendre le contrôle sur sa propre santé. Cette tendance est d’autant plus marquée par le fait que certaines maladies sont mal prises en charge ou insuffisamment considérées par le corps médical, laissant dans l’incertitude les patients. De plus, la progression constante des déserts médicaux2 complique davantage l’accès au soin et contraint de nombreuses personnes à chercher des solutions par elles même, faute de pouvoir consulter rapidement un professionnel de santé.
Cependant, une mauvaise utilisation des médicaments peut entraîner des effets secondaires, des interactions dangereuses, voire masquer une pathologie plus grave. Dès lors, comment concilier le droit de chacun à disposer librement de son corps avec la nécessité de prévenir les risques ? Loin d’être un simple débat médical, cette question touche aux notions de liberté et de responsabilité dans nos sociétés.
Entre encadrement et préservation de la liberté individuelle
Face aux risques potentiels de l’automédication, certains plaident pour un renforcement du cadre réglementaire. Mais jusqu’où peut-on aller sans empiéter sur notre liberté individuelle ?
L’interdiction de l’auto-prescription par les médecins s’est progressivement renforcée en France suite à des tragédies liées à des suicides ou des dépendances à des substances psychotropes. Bien qu’il n’existe pas de loi spécifique interdisant cette pratique pour les médecins, les règles déontologiques encadrant la prescription rendent cette pratique presque impossible dans la majorité des situations. En effet, la France, contrairement à d’autres États de l’Union européenne, a opté pour un modèle de monopole pharmaceutique strict, accompagné d’un contrôle rigoureux sur la prescription et la délivrance des médicaments par les pharmaciens.
De plus, certains médicaments, autrefois accessibles sans ordonnance, sont désormais soumis à des restrictions. En France depuis le 11 décembre 2024, les traitements courants pour soigner le rhume sont désormais en vente limitée. En effet, selon l’ANSM3, l’automédication est responsable de près de 34 000 hospitalisations par an et de 2 760 décès, principalement dus aux surdoses de paracétamol et d’anti-inflammatoires non stéroïdiens. Ces chiffres, qui ont augmenté respectivement de 85
D’un autre côté, ces mesures suscitent des critiques : restreindre l’accès aux médicaments pourrait contraindre les patients à multiplier les consultations médicales, ce qui augmenterait la pression sur un système de santé déjà saturé. De plus, une étude menée en 2024 par l’IFOP en collaboration avec une entreprise pharmaceutique privée a mis en évidence l’aspect économique de l’automédication. En effet, plus de 44
Si cette pratique offre une certaine liberté, elle expose également à des risques considérables, tant pour les individus que pour la santé publique. Le « droit à la santé » se heurte ici à la question du « droit à la maladie », autrement dit, à la liberté de choisir ses traitements, ou même de choisir de ne pas se soigner. Si nous avons le droit de choisir nos soins, devons-nous aussi en assumer pleinement les conséquences, ou la société a-t-elle la responsabilité de protéger l’individu de ses choix, même en imposant des restrictions ? L’automédication soulève des dilemmes complexes entre responsabilité individuelle et sécurité collective, des questions sans réponse définitive à ce jour.
Maiwenn Le Meur
Notes
- Organisation Mondiale de la Santé. ↩︎
- Se définit par un ratio de médecin par habitant inférieur de 30
Sources
s.n., « Lignes directrices pour l’évaluation réglementaire des médicaments destinés à l’automédication », OMS, 2000, URL : https://iris.who.int/bitstream/handle/10665/66154/WHO_EDM_QSM_00.1_eng.pdf?sequence=1&isAllowed=y [Consulté le 18 mars 2025]
Faizang Sylvie, « L’automédication où les mirages de l’autonomie », Presses Universitaires de France, 2012, pages 143-144 [Consulté le 18 mars 2025]
s.n., « Code de déontologie médicale », Conseil national de l’Ordre des médecins, 2023, URL : https://www.conseil-national.medecin.fr/sites/default/files/codedeont.pdf [Consulté le 18 mars 2025]
s.n., « Rhume : ordonnance obligatoire pour toute dispensation de médicament à base de pseudoéphédrine », ANSM, 10 décembre 2024, URL : https://ansm.sante.fr/actualites/rhume-ordonnance-obligatoire-pour-toute-dispensation-de-medicament-a-base-de-pseudoephedrine [Consulté le 18 mars 2025]
s.n., « Rapport d’activité 2023 », Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, 2023, URL : https://ansm.sante.fr/uploads/2024/09/11/rapport-dactivite-2023-version-fr.pdf [Consulté le 18 mars 2025]
s.n., « Enquête auprès des jeunes sur la consommation de médicaments sans ordonnance », Institut Français d’Opinion Publique , mai 2024, URL : https://www.ifop.com/wp-content/uploads/2024/05/Communique-de-presse-Ifop-pour-Biogaran-Mai-2024-REV.pdf [Consulté le 18 mars 2025]
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