Les dystopies écologiques : la politique de demain

La vie influence-t-elle l’Art ou l’Art influence-t-il la vie ? Quand il s’agit de dystopie, comment répondre à cette question sans tomber dans le pessimisme et la paranoïa ?

L’Utopie, conceptualisée par Thomas More, est une société idéale, égalitaire, et paisible. Le sociologue Alain Touraine définit la dystopie dans son ouvrage Utopie. La quête de la société idéale en Occident, telle que l’utopie qui « deviendra noire comme la nuit au milieu du vingtième siècle dominé par les totalitarismes? ». Si la dystopie traditionnelle concentre majoritairement des idées de lutte contre un pouvoir liberticide, dans une société où la technologie est en guerre avec l’humain (par exemple dans 1984 de George Orwell, publié en 1949, ou Le Meilleur des mondes d’Aldous Huxley, 1931), la fin du XX? siècle voit émerger de nouvelles angoisses. Au totalitarisme de Fahrenheit 451 et à l’échec sociétal de La Servante écarlate s’ajoute la crainte de voir la planète devenir inhabitable. La dystopie pousse les lecteurs ou spectateurs à se poser des questions philosophiques, éthiques, morales et surtout politiques. Comme l’écrit Francisco José Martinez Mesa, dans la revue académique Echinox (vol. 46) : en nous confrontant à nos scénarios les plus effroyables, ce genre littéraire s’apparente presque à une catharsis des temps modernes, un moyen de « conjurer », « exorciser » la peur qui nous hante de voir notre société plonger dans ses dérives.

Une enfance dans la peur du futur

À quel prix cet exorcisme doit-il se faire ? Retour en 2008, dans les salles de cinéma : le grand écran s’illumine, un brouillard brun et de la poussière, des rues désertes et des montagnes au loin, des éoliennes et des cheminées de centrales nucléaires, des buildings ensevelis sous les cubes de déchets. Wall-E, un petit robot, zigzague entre les détritus, pas un seul humain en vue. Nombreux sont ceux dont le premier contact avec le genre de la dystopie écologique fut ce dessin animé des studios Pixar. Dans un futur post-apocalyptique, où les humains ont dû quitter la Terre à cause de la pollution, Andrew Stanton, le réalisateur, met ses spectateurs les plus jeunes face à la possibilité de l’épuisement des ressources. La même génération, une fois adolescente, ira voir de 2014 à 2018 la saga Le Labyrinthe, dans laquelle les humains ont été décimés par un virus créé dans l’objectif de réduire la population suite aux crises climatiques. Un imaginaire de catastrophe sanitaire induit par le réchauffement de la Terre, qui refait brutalement surface dans notre quotidien en 2020, au travers de fake news et de théories du complot.

Cependant, certains de ces scénarios semblent probables. Ces dix dernières années, le Haut-Commissariat aux réfugiés a recensé plus de 220 millions de réfugiés ou déplacés climatiques. On aurait alors pu penser que la population deviendrait de plus en plus pessimiste, et qu’elle abandonnerait le militantisme, au vu des guerres et autres drames que les médias véhiculent au quotidien. 

Roman ou manifeste ?

Pourtant, c’est le contraire qui a été prouvé : une étude, menée par la docteure en sciences politiques Calvert Jones, a montré qu’après la consommation de fictions dystopiques (Hunger Games, Divergent), les sujets étaient plus enclins à justifier et légitimer les actes de rébellion violente et armée. La raison selon les internautes sur le réseau social Reddit : les films avec des effets spéciaux de très haute qualité tels qu’Avatar de James Cameron seraient si réalistes, que l’audience se sentirait embarquée dans cette guerre, qui rappelle la colonisation, le vol et la destruction des terres des populations natives. Mais, l’impact de ces dystopies ne se limite pas à leur audience venue prendre du bon temps. Claire Curtis, professeure de sciences politiques à l’Université de Charleston, confiait à Society Magazine que le livre Le Ministère du Futur (2020) écrit par Kim Stanley Robinson avait aussi « touché les décideurs, ceux qui dirigent [les institutions] ». Disposerons-nous un jour de cette agence de l’ONU pour défendre les futures générations en proie aux dérives écologiques ? La dystopie se transforme car, comme l’explique la professeure à Society Magazine, « nous ne pouvons pas rester paralysés par le pessimisme ».

Quand est-ce que la fiction écologiste qui inspire arrêtera d’édulcorer les réalités en mettant au cœur de ses revendications des géants bleus et mettra enfin en première ligne les victimes humaines ? Pour n’en citer que quelques-unes : les peuples autochtones de la Forêt Amazonienne et d’Alaska, ou encore les millions d’habitants sur les Îles Tuvalu et de l’Océan Indien.

https://shs.cairn.info/revue-ecologie-et-politique-sciences-cultures-societes-2008-3-page-33?lang=fr
https://fr.wikipedia.org/wiki/R%C3%A9fugi%C3%A9_%C3%A9cologique
https://aeon.co/ideas/how-dystopian-narratives-can-incite-real-world-radicalism
https://www.frontiersin.org/journals/psychology/articles/10.3389/fpsyg.2017.01618/full
https://caieteleechinox.lett.ubbcluj.ro/wp-content/uploads/2024/08/CaieteEchinox46-2024-p.65-81.pdf

Society Magazine N°247 (janvier 2025)

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