De l’immense désert au nord aux vastes jungles du sud-est, la terre mexicaine est l’une des plus riches au monde en matière de biodiversité. Ses grands paysages variés, coincés entre l’Atlantique et le Pacifique, ont toujours été au cœur des civilisations installées sur le territoire.
Avant l’arrivée des Européens, les nombreux peuples méso-américains vivaient en symbiose avec la nature vierge, sauvage et parfois vertigineuse. C’est de ses grandes plaines, de ses immenses volcans enneigés et de ses sierras Madre, chaînes de montagnes « mères », que sont nés la foi complexe et les rituels des ses habitants. Quelques siècles après l’arrivée d’Hernán Cortés, conquistador du Mexique, les rues de Mexico, grands canaux au temps des Aztèques, vivaient au rythme de la couronne espagnole. Lors de l’indépendance du pays, en 1821, plus de marche arrière : les imposantes cathédrales, bâties avec la pierre des temples amérindiens, trônaient au-dessus des rues pavées et des immenses palais coloniaux.
Baignée dans la chaleur tropicale et recouverte d’une vaste jungle dense, la péninsule du Yucatán au sud-est du pays s’est toujours caractérisée par son esprit indépendant. Ce territoire maya a été l’un des plus difficiles à conquérir : rébellions et résistances du peuple face à l’évangélisation chrétienne, ainsi qu’un climat particulièrement difficile, ont rendu la tâche complexe. Loin de la capitale, la péninsule s’est alors développée d’une façon plus autonome et a même proclamé son indépendance de 1840 à 1848. La guerre des Castes éclate dans ce contexte socio-politique en 1847 : la population maya, soumise au servage et aux traitements les plus injustes par les criollos (espagnols nés au Mexique) et les métisses, eux tranquilles dans leurs maisons à la française, se soulève. Le conflit, où des centaines de milliers de blancs et de métisses ont été tués, a marqué l’esprit de la péninsule.
En 2018, la péninsule du Yucatán devient l’image-même du progrès mexicain. Le président Andrés Manuel López Obrador (AMLO), défenseur des droits des personnes autochtones et fervent critique de la corruption et des inégalités au Mexique, y consacre son projet phare : le Tren Maya. Cet énorme réseau ferroviaire ferait le tour de la péninsule en passant par les points clés et les capitales de la région (Mérida, Cancún, Tulum, Palenque, entre autres), facilitant le transport de passagers et de marchandises. Quand en Europe il est tout à fait normal de voyager en train, il faut considérer que l’histoire du chemin de fer au Mexique est un peu plus complexe. Vers le milieu du XIXe siècle et pendant la dictature de Porfirio Diaz (1876-1911), les voies ferrées dans le pays, inexistantes auparavant, atteignent les 20,000 km. Cette soif de progrès caractéristique du Porfiriat s’envole avec la Révolution Mexicaine de 1910, laissant un vaste réseau ferroviaire à l’abandon. Aujourd’hui, dans l’immense pays, le voyage se fait toujours par les airs ou par la route, moyens souvent chers et inaccessibles pour la plupart des Mexicains
Route du train Maya à travers la péninsule de Yucatan, Mexique.
© trenmaya.gob.mx (DR)
Le projet d’AMLO s’inscrit donc dans un appel au changement et au développement par le peuple tout entier. Les premières réactions ont été positives, célébrant surtout l’arrivée du train de passagers dans le sud du pays, qui apporterait des gens, des touristes et donc de l’argent et des emplois. Pour une région marquée par la pauvreté et les inégalités, cela ne semblerait être qu’une bonne nouvelle. De même, si l’on s’aventure sur le site web du projet, une « meilleure qualité de vie » et le « déclenchement du développement durable » sont ses principaux objectifs. ONU-Habitat a aussi confirmé ces grandes ambitions en se félicitant de l’emploi et des richesses qui naîtraient avec le Tren Maya.
« Non au train maya et au projet de destruction »
« Nous ne serons plus des ouvriers, ni votre main d’oeuvre pas cher, ni vos domestiques. Nous sommes et serons la résistance et la rebellion »
.© Gran OM & Co. ( @kloerk )
Casa Del Lago, Bosque De Chapultepec, CDMX. Ago. 2020 (DR)Cependant, une grande colère sillonne la péninsule depuis l’annonce du projet. En dénonçant un manque d’informations concernant l’impact environnemental qu’aurait le projet, le peuple maya s’est senti exclu des décisions prises par le gouvernement concernant son territoire. À l’image d’un dirigeant populiste et en réponse à des plaintes sans fin, AMLO fait fin 2019 une « consultation citoyenne » relative au projet. Soulignant la faible représentation du peuple maya, le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme s’est montré très critique vis-à-vis de la consultation.
Le tronçon du réseau qui longerait les Caraïbes est aussi la cible de nombreuses critiques. Les stations balnéaires de la Riviera Maya attirent déjà des millions de touristes chaque année, mettant en danger l’environnement fragile de la région et y déclenchant des effets irréversibles. Des petits villages, à l’image de Tulum, deviennent des hot-spots de luxe inaccessibles pour les locaux. Le tourisme attire, aussi, la violence : les huit premiers mois de 2020, plus de 200 personnes ont été assassinées à Cancún même.
Les arguments pour et contre le train sont nombreux, mais ce qui est certain c’est que cette double vision semble incarner un ancien clivage : celui des inégalités nées de l’histoire complexe de la péninsule. Pour combler une image du progrès, le gouvernement mexicain aurait raison de défendre son projet phare du Tren Maya, qui aux yeux des dirigeants des métropoles, des étrangers et des touristes fait déjà succès. Pourtant, le monde maya, peuple millénaire dont la langue est encore bien vivante, aimerait savoir ce qu’il en est de ses besoins. Besoins qui, selon lui, seraient comblés par des actions plus efficaces et plus directes que par la construction d’un immense réseau en pleine pandémie dans l’une des régions les plus inégales au monde.
Les efforts continuent des deux côtés, mais dans un pays où le pouvoir a souvent noyé la voix du peuple, attendons-nous à voir, en 2024, les modernes wagons du Tren Maya sillonner le sud-est mexicain.
Jean-Paul COLLET
Sources :
- carte route du train :
- article :
- https://elpais.com/internacional/2020-07-01/tren-maya-esperando-el-futuro-junto-a-las-vias.html
- https://www.washingtonpost.com/news/theworldpost/wp/2018/12/04/amlo/
- https://www.lajornadamaya.mx/yucatan/1796/Pandemia-potenciara-pobreza-en-la-Peninsula-de-Yucatan–Coneval
- https://www.poresto.net/quintana-roo/2020/8/26/aumentan-los-homicidios-dolosos-en-cancun-playa-del-carmen-tulum-6942.html
- https://www.debate.com.mx/opinion/El-tren-de-pasaje-solo-el-recuerdo-queda-20150413-0275.html