Pouvoir observer à l’œil nu l’aura de ses congénères… Cela a tout d’un pouvoir magique. Pourtant, certaines personnes en sont capables : les synesthètes émotionnels. Et peut-être êtes-vous atteints de cette particularité neuropsychologique sans même le savoir.
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Les synesthètes émotionnels associent des couleurs à des personnes. C’est-à-dire qu’au moment où ils interagissent avec quelqu’un, une couleur leur vient à l’esprit, et elle devient indissociable de l’individu en question. Cette couleur ne peut être qu’évoquée mentalement, ou bien visible sous la forme d’un halo coloré recouvrant la personne.
En Espagne, des chercheurs de l’Université de Grenade se sont penchés sur la question. Ils ont interviewé de nombreuses personnes considérées comme synesthètes, dont une qui attire particulièrement l’attention : Esteban Sánchez Casas, plus connu sous le nom d’El Santón de Baza. Dans son cas, sa synesthésie émotionnelle est basée sur une combinaison visage-couleur, mettant en relation ses zones cérébrales responsables de la reconnaissance faciale à celles de l’intégration des signaux de couleur. Ajoutez à cela une synesthésie tactile-miroir – voir une personne être touchée ou avoir mal, et ressentir ce toucher ou cette douleur – qui lui confère une grande empathie. Dans son entourage, beaucoup prêtent à Esteban Sánchez Casas des capacités mystiques et des pouvoirs paranormaux. Sa synesthésie est alors interprétée comme un don surnaturel, semblable à de la sorcellerie.
D’ailleurs, beaucoup de chercheurs pensent que certaines personnes considérées comme des chamans ou des sorciers auraient été, en réalité, des synesthètes dont les capacités anormales auraient été assimilées à des pouvoirs surnaturels, voire divins.
Cependant, il faut bien garder en tête qu’il n’y a rien de magique ou d’ésotérique là-dedans. Il s’agit d’un phénomène neuropsychologique encore méconnu. Il faut également distinguer celui-ci d’une hallucination : la synesthésie est certes involontaire et automatique, mais elle est prévisible et systématique dès lors que les stimuli invoqués sont les mêmes. Les hallucinations, à l’inverse, sont imprévisibles et ponctuelles. De plus, l’aura en question n’est pas réelle, il ne s’agit pas d’un véritable nuage de couleur qui graviterait autour de chaque personne, mais plutôt d’une recréation artificielle du cerveau qui se superpose au champ de vision.
La mécanique derrière ce phénomène
La synesthésie n’est pas rare – on estime qu’entre 4 et 20% de la population mondiale au moins serait atteinte de synesthésie – mais elle n’est pas ou souvent peu diagnostiquée. Elle est donc peu étudiée, du moins jusqu’à récemment.
Tout ce que l’on sait avec certitude est que cette faculté serait associée à une connexion neuronale anormale, qui mettrait en relation deux zones cérébrales distinctes sans raison apparente. Les synesthètes possèdent plus de connexions synaptiques que les autres, permettant une activation automatique et immédiate des deux zones cérébrales dès qu’un stimulus est perçu, là où un individu « normal » n’en activerait qu’une seule – ou la seconde bien, bien plus faiblement. Ainsi, lorsqu’un synesthète comme Esteban Sánchez voit un visage, il l’associe automatiquement et instantanément à une couleur.
Quant à la nature de cette connexion, il n’existe pas de consensus scientifique officiel. La théorie la plus probable est que la synesthésie apparaîtrait dès la naissance, et que tout humain posséderait des zones cérébrales reliées entre elles. Au fur et à mesure du développement de l’individu, ces régions se dissocieraient. Dans le cas des synesthètes, cette dissociation ne serait que partielle, et il resterait des séquelles entre deux ou plusieurs zones.
Une multitude de synesthésies
Si l’on ajoute « émotionnelle » en épithète à la synesthésie qui permet de voir les auras des gens, c’est parce qu’il ne s’agit pas du seul type de synesthésie que l’on peut rencontrer. Dans la mesure où ce phénomène résulte d’une association de deux zones cérébrales, de très nombreuses combinaisons peuvent exister. Certaines reviennent plus souvent que d’autres, mais les possibilités restent vastes.
La plus courante et la plus documentée est la combinaison graphème-couleur : il s’agit d’une association entre la lecture des lettres de l’alphabet et les couleurs. Arthur Rimbaud est d’ailleurs soupçonné d’en être atteint, comme témoignerait son poème « Voyelles » dans lequel on peut le lire associer des couleurs à certaines lettres, comme le noir pour le A ou le vert pour le U.
D’autre part, de nombreux musiciens tels que Pharell Williams, Lady Gaga, Kanye West et bien d’autres se seraient vantés d’être synesthètes, associant des sons à des couleurs ou des formes géométriques.
La synesthésie est un phénomène neuropsychologique très vaste qui vient tout juste d’apparaître au grand jour. Les preuves de son existence ne font plus place au doute, mais de nombreux mystères et de multiples interrogations restent à éclaircir. Cette faculté n’est pas handicapante au quotidien, et beaucoup ne se rendent pas compte de ces associations mentales, rendant difficile d’effectuer des statistiques ou de recueillir des témoignages… Alors, peut-être que vous aussi, vous êtes synesthète, sans même le savoir ?
Alexis Llanos
Pour aller plus loin :
Les différents types de synesthésies : https://www.sciencesetavenir.fr/sante/la-synesthesie-qu-est-ce-que-c-est_161601
Travaux sur la synesthésie du cas El Santon de Baza : E.G. Milán, O. Iborra, M. Hochel, M.A. Rodríguez Artacho, L.C. Delgado-Pastor, E. Salazar, A. González-Hernández. Auras in mysticism and synaesthesia: A comparison. Consciousness and Cognition, 2012; 21 (1): 258 DOI: 10.1016/j.concog.2011.11.010
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