Lundi 3 septembre, le Brésil se réveille dépouillé de sa grand-mère. Le squelette « Luzia », après douze millénaires d’existence dont 40 années de célébrité, n’aura pas aussi bien résisté aux flammes qu’aux assauts du temps. Les restes humains les plus anciens du Brésil, comme 200 ans d’histoire de son peuple indigné, sont en effet partis en fumée lors de l’incendie du Musée National de Rio de Janeiro dans la nuit du 2 septembre.

Un musée maltraité

C’est la fin d’une longue agonie pour l’une des plus grandes institutions muséales d’Amérique du Sud, victime des mauvais traitements infligés à la culture par les gouvernements successifs. Ayant provoqué la fermeture progressive des salles et même du palais entier de façon temporaire, les différentes coupes budgétaires n’avaient même pas permis l’installation d’un système d’extincteurs automatiques fonctionnel, ou simplement l’approvisionnement des bouches incendies.

La disparition d’un État culturel

Dans un pays en pleine fin de campagne présidentielle, un candidat n’hésite pas à le dire : il faut supprimer le Ministère de la Culture brésilien. Jair Bolsonaro, favori de l’élection depuis la tentative d’assassinat dont il a été victime et se revendiquant lui-même comme le Trump brésilien, a profité de l’invalidation de la candidature de l’ancien président Lula suite à sa condamnation dans l’affaire Petrobras. Le candidat d’extrême droite n’hésite d’ailleurs pas à mettre en avant son casier judiciaire vierge, un atout pour un peuple épuisé par la corruption et les inégalités qui battent des records mondiaux. Et pour cause : Haddad, le successeur de Lula, est lui aussi suspecté d’avoir accepté près d’un million d’euros de la part d’une entreprise de bâtiment pour financer sa campagne lors des élections municipales de São Paulo en 2012. Des propos qui ont beau choquer de notre côté de l’Atlantique, mais qui ne sont pas sans précédents dans le pays. Entre les censures d’évènements par des groupes conservateurs, la clôture provisoire du Ministère de la Culture et les promesses de budgets dont les institutions, parmi lesquelles le musée, n’avaient jamais vu la couleur, les exemples ne manquent pas. Véritable déni par le gouvernement de la liberté d’expression acquise dans le passé par les communautés censurées – indigènes, noires, LGBT, etc. – et totale méprise sur la culture et l’éducation perçues comme des dépenses et non des investissements.

Un SOS mondial

Malgré la population en deuil de son histoire, certains refusent de baisser les bras. Le lendemain même de l’incendie, des étudiants en muséologie de l’Université Fédérale de Rio commencent à s’échanger des photos et des vidéos de leurs visites au musée. Puis ils lancent un appel mondial à tous ceux qui pourraient les aider à documenter les collections ou l’aspect du palais par le relai d’une adresse mail (thg.museo@gmail.com), afin que, selon leurs dires, « l’héritage ne soit pas détruit deux fois : une fois par le feu et une autre par l’oubli ». Dès le lundi, plus de 6000 personnes y répondent. Le jour d’après, Wikipédia relaie leur message en donnant encore plus d’ampleur au projet grâce à sa médiathèque en ligne Wikimedia Commons. Tout cela dans le but de recréer numériquement la collection du musée, dont on estime que 90% des 20 millions d’objets auraient disparu. Un travail effectué depuis bien longtemps dans d’autres musées, mais qui n’avait pas pu avoir lieu dans ce Brésil qui délaissait son passé et son futur à la fois.

Juliette TESTAS

Illustration : © Carl de Souza. AFP

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