Ancienne actrice pornographique, écrivaine, mannequin, réalisatrice
Ne dis pas que tu aimes ça : après la sortie du nouveau livre de Céline Tran, publié en mars dernier, la rédaction a voulu recueillir son point de vue. L’ancienne star pornographique, connue sous le nom de Katsuni, a aujourd’hui abandonné le pseudonyme.
Je parle seulement en mon nom, de mon expérience et de mon ressenti.
Beaucoup de gens ne savent pas que vous avez commencé par l’IEP Grenoble, qu’est-ce qui vous a poussé à vouloir vous lancer dans une carrière d’actrice pornographique ?
Quand je me suis retrouvée à l’IEP c’était le choix de mes parents, mais je n’avais pas la maturité pour apprécier ce type d’études ; j’étais beaucoup plus intéressée par les beaux arts. La véritable raison qui m’a attirée vers le X, et qui m’a d’ailleurs poussée à rester, c’est l’exploration sexuelle. Il ne s’agissait pas de faire carrière ou d’être connue, mais d’utiliser ce métier pour me découvrir et de tester plein d’expériences. J’étais quelqu’un de réservé, mais j’avais une soif de sensations très forte. Au départ c’était caché, je travaillais comme gogo danseuse puis en tant que stripteaseuse parallèlement à mes études, et j’aimais cette sensation de double vie. J’ai alors rencontré un photographe du magazine Penthouse, magazine de photos de charme dont la licence française cherchait une égérie.
Est-ce que pour vous le milieu de la pornographie est un milieu sexiste ?
C’est drôle parce qu’on ne m’a encore jamais posé cette question ! Les gens partent du principe que le porno est forcément sexiste parce que c’est fait par des hommes et pour des hommes. Évidemment qu’il y a des mises en scène sexistes, mais elles font partie d’un jeu excitant, d’une caricature qui répond à un fantasme. Mais il y a aussi des productions dites féministes, où les femmes sont extrêmement valorisées. C’est très dangereux de généraliser. Le porno peut être vu comme sexiste pour les hommes d’ailleurs : c’est toujours le visage des femmes que l’on montre, les femmes sont mieux payées et elles imposent leurs conditions. Elles ne sont pas exploitées, c’est la femme qui décide sur le plateau. Il ne faut pas tout mélanger : ce n’est pas parce qu’une femme joue la fille soumise dans un film, qu’elle est soumise et maltraitée dans le contrat : elle va même sûrement gagner quatre fois plus que ses partenaires ! Il faut savoir que le milieu du porno est un milieu très professionnel, très cadré et qu’il y a également des limites imposées.
Et le harcèlement dans tout ça ?
Comme dans tout milieu, il y a des gens qui peuvent être abusifs, mais il faut se sortir de la tête le cliché du côté esclavagiste et mafieux du milieu du X. Je n’ai jamais eu de propositions ou de chantage pour coucher avec quelqu’un alors que dans le milieu de la télévision, c’est autre chose… En commençant dans ce business sans bien s’y connaître et sans savoir dire non, on risque de se faire arnaquer, mais comme dans n’importe quel métier. Il ne faut pas partir du principe que les femmes sont des enfants incapables de prendre leurs décisions, qu’elles sont vulnérables et malléables… Mais d’un autre côté il faut également reconnaître que le milieu du X a effectivement tendance à rassembler des femmes qui sont parfois fragiles.
13 ans plus tard, vous avez décidé d’arrêter cette carrière. Vous dites que vous n’aimiez plus votre profession, et que l’industrie a changé…
J’ai mûri… Entre 21 ans et 33 ans, notre personne et le rapport à notre corps changent. Et puis il y a eu des déclics dans ma vie sentimentale qui m’ont fait réaliser que j’avais envie d’avoir une sexualité intime et non juste une sexualité mise en scène. L’industrie a également énormément évolué. Quand j’ai commencé, il n’y avait pas internet : on était encore dans la cassette vidéo et c’était le début du DVD. Le X était prestigieux, caché et il y avait un vrai côté transgressif, mais tout cela s’est transformé en fast-food où l’on finit par connaître une forme de routine. Et s’il y a bien une chose que je fuis, c’est la routine ! Au bout d’un moment je me suis dit « je n’ai plus rien à faire ici, j’ai envie d’explorer autre chose ».
Quel est votre rôle aujourd’hui ?
Mon rôle aujourd’hui c’est de parler de sexualité, mais en dehors de la pornographie. La seule bonne sexualité c’est à soi de la trouver, de connaître son rapport au corps. L’essence de la sexualité c’est une relation intime avec quelqu’un d’autre. Ce qui m’intéresse maintenant c’est de parler de ça.
Vous militez pour la sensibilisation du porno auprès des jeunes et l’accès trop facile à ses contenus…
Je suis contre la diffusion du porno gratuit sur internet parce que les gens vont négliger les contenus de qualité payants par la suite. L’accès au porno ne doit pas être aussi illimité. Cependant, il faut arrêter ce côté tabou. S’il y avait de vrais programmes d’éducation sexuelle dans les écoles, qui ne parlent pas que de dangers, les choses iraient beaucoup mieux. Je suis d’ailleurs en train de travailler avec l’UNESCO sur la charte de la santé sexuelle et des droits humains pour faire quelque chose vis-à-vis de ça. Les choses commencent à bouger et c’est bon signe ! Le souci c’est que certains ont cette croyance que si l’on parle de sexualité à des enfants on aille les inciter à avoir leurs premiers rapports plus tôt ou à se dévergonder. À trop préserver les enfants, on ne les prépare pas à rencontrer le monde réel.
Le porno peut être très beau, car il faut savoir que c’est, avant tout, une intention de partage.
Propos recueillis par Tiffany BONNEAU-ÉVRARD et Alban GEORGE