Journal des confinés d’Alma Mater – Semaines 6 et 7, du 20/04/20 au 03/05/20

En ces temps un peu particuliers, Alma Mater a décidé de créer un journal de confinement commun, qui laisse la possibilité et aux membres de l’association (et à d’autres) de s’exprimer de façon totalement libre. En voici le résultat, une succession de témoignages à lire par petits et grands bouts, ou à redécouvrir quand l’orage sera passé !

Gin To

 

Mon confinement s’est déroulé en deux temps. Il y a d’abord eu la phase « on dirait que c’est les vacances », puis est arrivée la phase « mais en fait c’est pas les vacances faut taffer ». Pendant la phase 1, l’oisiveté l’emporte sur la raison, et lors de la phase 2, la raison a repris ses droits. Je vais vous présenter la composition générale de mes journées pendant les phases 1 et 2.

Phase 1 :

Pendant cette phase, mettre un réveil est à proscrire. Voilà ce qui arrive  :

12h : Réveil

J’ai l’impression qu’il est super tôt. Je lève alors la tête vers mon réveil. Et là, c’est le drame. Ma première pensée : j’ai faim. Et j’ai raté le petit-déj. Encore dans mon lit, je passe en revue toutes les choses que je dois faire. Comme réviser pour les partiels. Que j’aurais peut-être. Tout me semble si lointain et irréel… aaargh, l’urgence n’est pas encore là.

13h30 : Déjeuner

Miam.

14h : Le temps passe

Je sors sur le balcon pour sentir la chaleur des rayons du Soleil. Chez moi, le soleil tape sur le balcon jusqu’à 17h. Après, il passe derrière le mur de l’immeuble. Il y a deux chaises de jardin. C’est formidable pour se dorer la pilule. S’ensuit alors dans ma tête une conversation animée entre Raison et Oisiveté :

Raison : Il est 14h, tu devrais te mettre à bosser.

Oisiveté : Mais regarde ce Soleil, il faut en profiter !

Raison : Tu en profiteras quand tu seras en vacances.

Oisiveté : Mais c’est si loin ! Juste une demi-heure !

Raison : Bon, une demi-heure, et puis au travail.

Oisiveté : *Doigts croisés derrière le dos* Promis !

Vous connaissez la suite.

Les heures passent et je n’ai toujours pas eu le courage d’ouvrir un cahier. Je passe devant la télé qui est allumée. Oh tiens ça a l’air intéressant ça. Et BIM ! Une heure de plus de perdue. Soudain, je me rappelle qu’il faut que je révise. Et que je fasse le ménage. Va pour le ménage. Et si je faisais un gâteau ?

17h : Révisions, première tentative

Je me décide enfin à me mettre au travail. Je m’assieds à mon bureau et allume mon ordinateur. Et si je mettais un peu de musique pour me motiver ? Durant le court laps de temps où mes doigts s’activent sur le clavier, avant même que les sept funestes lettres ne s’affichent sur la barre de recherche, je sais que Youtube sera le lieu de ma dernière bataille. Et BAM ! Au bout de trois heures et sans trop savoir comment, je me retrouve à regarder le bêtisier du Seigneur des Anneaux. Le drame.

20h : Dîner

Miam.

20h30 : Révisions, deuxième tentative

Je repasse devant la télé qui est toujours allumée. Et BOUM ! Trois heures de plus de perdues.

23h30 : Perdue sur Instagram

Je devrais supprimer cette application.

3h : Dodo

Bilan de la journée : j’ai rien foutu.

Après de très nombreux bilans similaires, j’ai senti qu’il était temps de changer les choses. C’est alors que la phase 2 est arrivée.

 

Phase 2 :

8h : Réveil

OUI. Maintenant je mets un réveil. Faites place à la nouvelle moi. Mes journées sont plus longues, et le matin j’ai l’impression que je travaille mieux.

8h30 : Petit-déj

Miam.

9h : Révisions, première session

Petit thé. Bien installée. Je révise un peu de ci, un peu de ça. Une conférence Zoom par ci, par là.

13h : Déjeuner

Miam.

14h : Révisions, deuxième session

Là, ça devient un peu plus compliqué de réviser. La procrastination est une sangsue qui ne vous lâche jamais. Mais je tiens bon. Jusqu’à un certain point.

19h30 : Dîner

Miam.

21h : Remise en question

Nouvelle conversation entre Raison et Oisiveté :

Raison : Et si on se remettait au travail ?

Oisiveté : Mais il est tard !

Raison : Pas du tout, il n’est que 21h.

Oisiveté : 21h, c’est proche de 22h, qui est proche de minuit.

Raison : Tu exagères.

Oisiveté : Et si on regardait un film, plutôt ?

Raison : Bon, d’accord, mais après on révise.

Oisiveté : *Affiche un sourire malicieux* Oui, c’est ça.

Le soir, je n’arrive pas vraiment à réviser.

Minuit : Dodo

Voilà, vous savez tout.

Adrien A. 

Histoire d’une vie rêvée 

Chapitre 13 :

                                      Rêve 1, 

Place des Molènes, le jour est naissant : je le sais car le Soleil se trouvait à l’Est à ce moment du rêve. J’étais à côté des toilettes publiques de la place, et, dans mon dos, se trouvait un homme. Brun, fin, un peu voûté et l’air nonchalant ; Fernando ? Je m’attendais à recevoir un massage shiatsu, massage basé sur des pressions au niveau des points énergétiques du corps. Au lieu de ça, mon inconscient choisit une tout autre option. L’homme dans mon dos se colla à moi, me coucha sur le sol, la tête dirigée vers le Nord, et positionna ses mains sur mon torse, sur lequel il exerça une forte pression. Puis, plus rien. 

                                         Rêve 2,

Poutine est devant moi, torse nu, dans un salon lambrissé de boiseries dorée et tapissé de toiles vermeilles. Nous sommes réunis avec d’autres dirigeants dont le président chinois, Xi Jinping. Ce dernier est bien silencieux. Le président russe fait des va-et-vient dans son repaire ; nous parlons innovation et recherche. Je lui propose de mutualiser nos dépenses dans ces domaines, mais il refuse mon offre. « Vous voulez garder un certain avantage n’est-ce pas ? », lui demandai-je d’un air enjoué. Il ne répondit pas, puis me faussa compagnie. Soudain, me voici dans le fond du salon, à côté d’une table immergée sous des sushis et des makis. Une vieille femme, brune, petite et à la colonne vertébrale voûtée me parle de sa langue natale, le chinois. Elle me montre les différents accents et nombreuses intonations que possèdent sa langue : elle en vient à me faire une démonstration ; j’essaye de répéter ce qu’elle prononce, mais la tâche est difficile. Puis, plus rien. 

                                     Rêve 3, 

Me voici au milieu d’un bidonville déserté par la vie humaine et où une nature sauvage et luxuriante a repris ses droits. Je cours à toute allure, paniqué, suivi de mes compagnons, dans l’espoir d’échapper à une créature venant tout droit d’une ère révolue : un tyrannosaure. Je trouve enfin un abri, et, avant d’y pénétrer, je prends le temps de regarder si mon poursuivant préhistorique est toujours à mes trousses. Je patiente de longues secondes, « on l’a semé ? », m’interrogeai-je, puis décide de rentrer dans ma cachette de fortune : des toilettes de chantier. Soudain, je sens la présence d’une nouvelle menace : une berline noire se gare à quelques mètres de ma couverture, de laquelle sort un homme rond en costume noir. Il s’approche de ma position, jette un œil par les fentes des toilettes et déjoue mon subterfuge. J’en sors, étonné qu’il ait réussi à me trouver. Par un tour de passe-passe trompeur, je détourne son attention, puis me faufile agilement dans sa luxueuse voiture, comme un chat passant sous un portail, démarre le moteur et échappe à mon assaillant. Puis, plus rien. 

Histoire d’une vie rêvée 

 

Chapitre 14 : 

                                         Rêve 1,

Je suis dans la boutique de sport de mon père. Je reconnais bien ses allées étroites et son fouillis caractéristique. Un étranger penserait probablement se trouver dans un bazar parisien s’il venait à y mettre les pieds. Je circule dans les rayons jusqu’au moment où je trouve de quoi m’occuper : plier et ranger un jean, vêtement que l’on ne trouve évidemment pas dans cette boutique du sportif. Je m’attèle à la tâche : accroupis derrière deux petites étagères noyées sous des paires de chaussures toutes plus techniques les unes que les autres, je manipule mon jean avec expertise et précision afin de lui donner le pli désiré. J’entends une voix féminine dans mon dos, elle semble accueillir un client. Fort heureusement, je suis déjà bien occupé à ranger mes morceaux de tissu, ce qui m’empêche totalement de servir ce nouveau venu. C’est la voix de mon père que j’entends désormais : je m’attends à ce qu’il me reproche mon manque d’activité ; eh non ! Je suis bien affairé papounet !

Je me focalise sur ma tâche et décide de tirer quelques pantalons de l’armoire me faisant face afin d’analyser comment ils ont été pliés, le but étant évidemment d’appliquer ce modèle à mes affaires. En deux temps, trois mouvements, mon jean est prêt à rejoindre ses confrères en coton ; cependant, je suis pris de panique : ce n’est pas un jean dont je viens de m’occuper, mais bien de trois bermudas, eux aussi en jean, et qui, de surcroît m’appartiennent ! Ils n’ont rien à faire ici ! Puis, plus rien.

                                   Rêve 2, 

Ce rêve se passe dans un hôtel. Les stores sont relevés, la porte-fenêtre ouverte et le soleil haut dans le ciel. Je vais sur le balcon, mirador depuis lequel je peux admirer trois femmes filiformes profiter des fraîcheurs de la piscine. Je suis tiraillé entre deux sentiments : l’envie de rejoindre ces magnifiques créatures se mélange à la frustration de ne pas pouvoir nager dans un bassin si petit ; une piscine olympique m’aurait amplement satisfait. 

D’où je suis, j’ai également une vue sur le réfectoire de notre logement éphémère : Elian, mon colocataire argentin, y prend son petit déjeuner. Je lui fais signe de la main, mais il ne semble pas me voir. Il est vrai qu’il se trouve à plusieurs dizaines de mètres de moi, et nul doute que son regard s’est lui aussi perdu sur les courbes des occupantes de la piscine. Soudain, un trombone se met à souffler quelques notes, accompagné par une batterie. Leur mélodie emplit l’air, leur son semble disproportionnellement élevé. Elian apparaît à sa chambre, un étage plus bas que la mienne et cinq mètres plus proches de la cantine de l’hôtel. D’où je suis, je peux voir son lit et ses murs ocres. Lui aussi écoute la musique, debout, attentif, dans l’entrebâillement de sa porte fenêtre. Derrière lui se trouve Elias, à l’affût d’une nouvelle espièglerie, d’un nouveau tour à nous jouer. Il s’agite derrière notre ami argentin, me fait découvrir ses dernières innovations en matière de gestuelle obscène ; Elian ne remarque rien. Puis, plus rien.

                                          Rêve 3, 

Quand, dans mon voyage onirique, je vais au cinéma, je n’ai, bien entendu, aucune intention de regarder un film. Je débarque dans un hall spacieux au plafond bas. Mon esprit, marcheur des sables, me donne un petit indice sur ce qu’il aimerait découvrir dans ce temple du septième art : un film d’horreur. Je suis accompagné, mais cette compagnie souhaite se plonger dans une catégorie cinématographique moins anxiogène ; très bien, elle reste au rez-de-chaussée et moi, chevauchant mon TemBici (l’équivalent Portoalegrense d’un Vélib parisien) j’emprunte ce qui s’apparente à une sortie de garage crantée censée me mener au première étage. Quelle ne fut pas ma déception quand mon chemin fut barré par un rideau de fer. Je fais demi-tour et retrouve mon accompagnatrice imaginaire. La quarantaine, la peau ambre et les cheveux blond-vénitiens, elle m’attend dans un canapé de cuir marron clair, rembourré, apparemment très confortable et dans la capacité d’accueillir au moins trois postérieurs. Elle me demande si je veux une place auprès d’elle, mais, à droite de son trône tanné, se trouve un fauteuil, de la même collection que le canapé je dirais ; je m’y assois et active le repose pieds. Je rapproche mon fauteuil jusqu’à le coller au canapé de ma partenaire fictive. Je lui prends la main droite, l’embrasse. Puis, plus rien. 

Histoire d’une vie rêvée 

 

Chapitre 15 : 

                                     Rêve 1,

Perché du haut de mon vingt-quatrième étage brésilien, je suis baigné dans la lumière blanche de ma petite chambre. Au plafond, une araignée vient tout juste de piéger un moustique dans ses tissus soyeux. Plus elle l’étouffe dans ses étoffes et plus elle descend vers mon lit ; elle est d’une telle finesse, d’une telle légèreté, qu’elle finit par se poser délicatement sur mes draps bleus. A-t-elle foulé le sol qu’elle s’envole aussitôt. Soudain, ma vision change du tout au tout : je suis face à un tronc d’arbre, qui, allié à ses deux branches principales déjà bien développées, forme une fronde. Le fond est flou et plein de scintillements indiscernables, comme si un appareil photo ne focalisait uniquement que sur l’arbre et ses attributs, générant une très faible profondeur de champ. Sans même un avertissement de mon inconscient, toujours affairé à me surprendre, une épaisse toile de soie visqueuse vient se fixer à mon interlocuteur boisé. J’ai l’impression d’assister à l’un de ces plans d’un documentaire animalier où la fascinante faune de ce monde sauvage est sublimée par un simple ralenti. J’anticipe l’arrivée de la propriétaire de ce filet collant, me retourne, suis de retour dans ma chambre, et regarde avec attention cette magnifique planneuse aux nombreuses pattes descendre vers mon lit. A peine atterrie, elle doit faire face à un nouveau défi : je ne vois pas d’un si bon œil l’arrivée de cette voyageuse aérienne. Je tente de délicatement l’éloigner de mon lit, assisté par mon souffle chaud, mais la belle s’accroche. Elle saute sur mon oreiller blanc ; elle est bien étrange cette araignée, atypique : elle a le corps d’une longue sauterelle verte et la tête miniaturisée d’une araignée. A nouveau, elle déploie ses ailes, et, à nouveau, elle se heurte à mes vents violents. Déviée dans son vol, elle tombe sur le sol de ma chambre, et quel sol : sous mon lit, une prairie d’herbes grasses et fraîche avait prit vie. Cet habitat fertile et verdoyant grouillait d’une multitude de petits êtres que je voyais indirectement grâce aux mouvements frénétiques de ce gazon sauvage. Je me penche vers le bas afin de mieux admirer ce merveilleux monde miniature. Tout à coup, un insecte, bien plus gros que les autres, entre en scène. Il fait des va-et-vient entre l’ombre de mon lit et la lumière de la prairie. Après plusieurs tentatives infructueuses, je réussis à m’en saisir. Il est à présent sur mon lit, perdu, comme si je l’avais subitement arraché à tous ses repères. Quel singulier animal : son long et large abdomen, fusion d’un edamame géant et d’une cigale, s’étendait jusqu’à une petite tête ronde arborant deux yeux ronds et fixes, donnant à ce rampant énergique, à première vue, un air malsain ; mais, quelques observations plus tard, je finis par être attendri devant tant de rondeurs. Puis, plus rien. 

                                 Rêve 2, 

Retour à la maison, en France, et plus précisément dans le cabinet de toilette du premier étage de mon foyer. Il a un peu changé, ce cabinet. Plus spacieux, plus lumineux, mais surtout dépourvu de ces petits attributs qui font que des toilettes sont des toilettes : pas de cuvette, pas de chasse-d’eau, pas d’évier, pas de papier, rien.

Bien que je ne l’aie pas formellement identifié, je suis en compagnie d’un ami d’enfance, William. Derrière les grandes fenêtres de mon cabinet métamorphosé, s’agite un jeune ptérodactyle ; jeune, car mon imaginaire a déjà connaissance des dimensions corporelles spectaculaires d’un ptérodactyle adulte. Il se colle à la fenêtre, la plus à gauche de notre point de vue, et nous laisse admirer sa peau écailleuse rouge et grise. Sous nos yeux ébahis, apparaît subitement une nuée de frères et sœurs de notre petit reptile ailé. Ils tournoient dans les airs, percutent les carreaux des fenêtres, tentent de se frayer un chemin à l’intérieur du cabinet. J’ordonne à William de fermer les fenêtres car nous ne sommes plus en sécurité. Je propose que l’on se cache sous une table basse de couleur noire et abondamment vernie. Nous dégageons quelques chaises encombrantes et finissons par nous apercevoir qu’il n’y a pas suffisamment de place sous ce bout de meuble ridicule. Nos regards se dirigent à nouveau vers nos indésirables convives : telle une armée de ventouses dans un évier bouché, ces petites pestes griffues se collent aux vitres de mes jadis toilettes. Bientôt, où que nous regardons, nos visions sont saturées de ces créatures venues d’un autre monde. Puis, plus rien. 

Histoire d’une vie rêvée 

 

Chapitre 16 : 

                                      Rêve 1, 

La nuit dernière, le marchand de sable m’a emmené à la plage. Me voilà, en tenue légère, les pieds dans une eau cristalline, au côté d’un grand surfeur, blond et musclé ; mon inconscient nage dans le cliché, apparemment. Je me jette à l’eau et suis rapidement immergé sous la surface, dans un univers serein et calme. Calme au premier abord, mais bientôt scélérat : depuis les profondeurs sablonneuses, j’assistais, impuissant, à la naissance d’une horde de vagues titanesques. Leur hauteur rivalisait aisément avec un petit immeuble de trois étages ; leur puissance, dévastatrice, remuait les fonds du littoral et avec eux leurs habitants, dont moi. J’attendis que ces titans aillent s’écraser sur le rivage, quand, soudain, sorti de nulle part, un serpent géant apparu devant mon visage terrorisé. Long de plusieurs dizaines de mètres, ce colosse écailleux rampait sous la surface de l’eau à la recherche d’une proie à dévorer. Pris de panique, je me mis à nager mon plus beau crawl afin de regagner la terre ferme. Une fois hors de l’eau, je vis notre impressionnant reptile s’enrouler autour d’un petit corps en détresse – mon ami le surfeur ? 

Sans plus attendre, je m’éloigne de cette scène morbide. Devant moi, se met à nu le lieu où le génie des rêves m’avait amené : la plage de sable fin s’insérait dans une baie en forme de serre-tête, elle-même bordée par de hautes falaises rocheuses de couleur blanche. Quelques mètres au-dessus du niveau de l’eau, j’avançais sur un chemin terreux, compacté par de nombreux passages, au bout duquel je fis la rencontre de ce qui me semblait être un peuple autochtone. Encore une fois, mon imaginaire d’idées préconçues visualisait ces gens dans un apparat traditionnel fait de bouts de bois, de feuilles et d’ornements sacrés. Problème cependant, ces indigènes n’eurent pas fait de l’hospitalité leur spécialité. Me sentant en territoire hostile, je décide de leur fausser compagnie ; mais par où fuir ? Seule la voie de l’eau pouvait me mener à mon salut. Je sautais à l’eau dans l’espoir d’échapper aux maîtres de la baie. D’immenses bateaux cargos me barrèrent la route et interrompirent plus d’une fois ma nage. Sur l’un d’eux, une sorte de ritualiste tenait dans sa main gauche une gemme de couleur vert-pomme, laquelle, selon lui, détenait le pouvoir d’invoquer le Boa des Profondeurs ; nul besoin de préciser que je m’étais déjà fait une petite idée de ce saint reptile dévoreur d’humains. Je battis à nouveau des bras et à toute vitesse me dirigeais vers une grotte creusée à même la falaise par l’eau et le temps. Puis, plus rien. 

                                  Rêve 2, 

Aujourd’hui, c’est rugby ! Comme pour une retransmission télévisée, un grand angle de vue me permet de profiter confortablement, et sans effort, de chaque mouvement des joueurs. Le match opposait le Quinze de France à des joueurs en maillots blancs auxquels je ne pus associer aucune nationalité. L’équipe tricolore menait largement au score et semblait naviguer en eau douce et peu profonde face à des adversaires visiblement à bout de souffle. Chaque essai transformé provoquait en moi une explosion de joie. Cependant, à la soixantième minute, les voiles des bleus ne capturaient plus aussi bien les vents de la victoire ; leurs opposants sportifs remontaient au score. D’un coup, je fus téléporté sur le terrain, au milieu de ces athlètes en sueur, et compris rapidement mon rôle dans la bataille. Le ballon ovale allait et venait ; ses rebonds aléatoires me prirent plus d’une fois à contre-pied ; quand mes doigts réussissaient enfin à entrer en contact avec ses fibres brunies, le ballon s’arrachait de mes frêles mains pour rejoindre la puissante prise d’un première ligne. Une foule compacte s’agglutina près des poteaux ; la balle volait encore et toujours. Puis, plus rien. 

Histoire d’une vie rêvée  

 

Partie 2. 

                                      Rêve 3, 

Je suis allongé dans mon lit, au milieu de la salle à manger, plongé dans le noir. Sous mes draps, je rumine : « pourquoi un tel a dit ça ? pourquoi tel autre pense cela ? ». Je repense au match de rugby. 

La maison est vide, désertée de ses pensionnaires ; les volets de l’entrée principale sont fermés ; seule la porte fenêtre menant au jardin laisse encore pénétrer la diffuse lumière du jour. Je connais cette atmosphère, je sais déjà la suite de mon rêve : un cauchemar. Je l’attends, caché sous ma couverture, cette ombre oppressante. De temps à autre, je laisse s’échapper un regard furtif ; rien. Sans crier gare, une ombre se met à voltiger autour de mon lit, son bras squelettique réussit presque à me caresser les naseaux. Je saute de mon lit et cours vers le jardin. Dehors, le ciel est chargé, les épais nuages gris et noirs se chevauchent, annonçant une tempête à venir. Tournant sur moi-même, je surveille mes alentours. Tout est calme, mais je sais qu’elle viendra, elle vient toujours me chercher. Elle est là. Des parasites hertziens envahissent ma vue, mais je reprends le contrôle. Sous une forme que je n’avais encore jamais vue, la hantise de mes songes s’avance vers moi, lentement. C’est une petite tornade, sombre comme le charbon à la danse douce. Mais je ne suis pas dupe ; alors je m’en vais la combattre. Je m’avance vers elle, et, d’une grande inspiration, l’absorbe tout entière. Puis, plus rien.

                                          Rêve 4,

Je suis dans une salle d’attente au plafond bas et faiblement éclairée par la lumière grisâtre du jour. Pourtant, je ne vois aucune fenêtre, uniquement une série de portes en bois me faisant fièrement face. À côté de moi, assises sur le même banc trois places, se trouvent autres personnes : une jeune femme et un jeune homme. 

Je me suis rendu dans cette endroit inconnu pour un massage. Une femme, d’une vingtaine d’année, aux cheveux châtain clair et aux yeux noisette vient à notre rencontre, nous examine quelques instants puis me désigne comme étant le premier à passer, pour le massage j’imagine. Je suis un peu surpris, car, au fond de ce crâne censé abriter le cœur de mon intelligence, l’information critique, un massage égal une heure, me fait prendre conscience que les deux autres jeunes gens avec qui j’étais allaient probablement patienter longtemps avant de profiter des vertus d’un bon massage. Je me lève et croise le regard de Simon, dix-huit ans, un allemand aux épaules carrés, blond aux yeux bleus. Il baratine quelque chose dans un anglais approximatif que je n’arrive pas à comprendre. 

J’emboîte rapidement le pas de la jeune femme. Tentant de la rattraper pour lui demander si nous pouvions faire un massage shiatsu, je la vois disparaître derrière une porte, à ma gauche, tandis que je m’engouffre dans celle à ma droite. Je me retrouve seul dans une pièce sombre ; je sors mon portable et réitère ma demande auprès de cette jeune masseuse par message Whatsapp. Sa photo de profile, je dois l’avouer, m’interpelle : elle se dore l’épiderme, à la plage, avec pour seul costume un bikini rouge et blanc mettant parfaitement sa peau bronzée en valeur. A côté d’elle, est planté dans le sable un parasol blanc à rayures vert-pomme, ou bien vert-pomme à rayures blanches, quelle confusion.

Je m’installe instinctivement sur ce qui me semble être une table de massage sans même lui avoir, au préalable, porté la moindre attention. Dans l’ouverture de la porte, je crois voir une ombre se déplacer, la masseuse ? Je contemple ce défilé de nuances pendant quelques secondes avant de me lever pour y voir plus clair. 

Me voilà dans un long couloir, sans lumière, sans vie, aux murs insalubres et aux câbles pendant du plafond. Un cauchemar, encore un ; mes affaires ont disparu, je n’ai pour seul vêtement qu’une chemisette blanche d’hôpital. Au bout de cette sombre allée, se trouve une porte battante abondamment éclairée. Je me dirige vers celle-ci, souhaitant ardemment quitter mon tunnel funèbre. Je lève ma main en direction de la porte, et, par la seule force de l’esprit, tente d’interagir avec elle : des arcs électriques dansent autour de mes doigts arqués, phénomène surréaliste ne semblant pas le moins du monde affecté ma cible de bois et de verre. Arrivé au niveau de cette dernière, je me laisse glisser dans ce qui semble être un bureau. Chaudement éclairé et richement fourni en matériel, il est boudé de ses travailleurs. Je m’active à chercher une sortie, que seules de petites fenêtres rectangulaires sont en mesure de m’offrir. J’en repère une, assez large pour permettre à mon épais corps d’atteindre le monde extérieur. L’accès est bloqué par d’innombrables fournitures de bureaux, que je déplace sans même m’interroger sur leur fragilité physique. J’ouvre la fenêtre, mais elle ne laisse que trop peu d’espace pour que, dans notre réalité matérielle, mon corps puisse s’y faufiler. Cependant, dans la version sableuse de ma vie sur Terre, tout est possible. 

Je sors du quatrième étage et réussis à descendre jusqu’au trottoir sans difficulté. Mes affaires me sont restituées, je ne sais comment. Il fait jour, le ciel est couvert et diffuse l’éclatante lumière de notre astre solaire. La rue s’anime ; des visages étrangement familiers confluent vers ce grand bâtiment gris que je venais d’abandonner. L’un d’eux frappe à la porte d’entrée sans que réponse ne lui soit faîte. Il sort alors un trousseau de clés et tente de gagner son accès à l’intérieur. Personne ne semble me remarquer. Je tourne les talons et entreprends une nouvelle marche. Je suis sur l’Avenida João Pessoa, à Porto Alegre, et, à nouveau, je croise un visage familier : un homme, les cheveux au ras de son cuir tanné, une épaisse barbe noire en guise de collier fantaisie, le regard bas et un sac sur le dos, croise ma route. Puis, plus rien. 

 

Canapé solitaire

Sortie 5 : 

 

C’est une magnifique journée pour observer le monde. Ce midi, je déjeune dans les robustes branches d’un jaracanda, perdu au milieu d’un parc. Ce colosse à l’écorce grisâtre s’est développé de telle façon à accueillir le fainéant derrière d’un singe savant. Ventre satisfait et jumelles sous les arcades sourcilières, tout mon corps se meut tel un trépied afin d’orienter les verres de mes deux amies. Des oiseaux vont et viennent ; des papillons, clairs comme une orange pelée, défilent devant deux petits yeux noisette propulsés dans l’espace-temps. De temps à autre, un promeneur et ses chiens viennent perturber le festin des ibis à face nue : sous la pression de leur instinct grégaire, ces courtes perches s’envolent dans une fulgurante accélération, me laissant ainsi apprécier les reflets bleutés de leurs ailes, puis retombent quelques mètres plus loin tels des planeurs en fin de vol. Quelques sans abris, les épaules chargés de tous leurs biens, processionnent sous mes yeux à la recherche d’une courte extension de leur misérable vie. 

Mes jumelles et moi, verres dans les yeux, yeux dans les verres, observons avec attention ces passants des espaces verts ; quand ces derniers nous remarquent enfin, haut perchés dans notre ami de bois, ils ne prennent pas le temps de s’arrêter ; ils ne prennent pas le temps de nous examiner ; ils ne prennent même pas le temps de s’intéresser aux observateurs intéressés. Ils s’en vont, purement et simplement.

Dans les feuilles craquantes de l’automne, des pas réguliers trahissent la présence d’un individu bien familier. Un homme, torse nu, chaussettes hautes rampant jusqu’à la base des tibias, sac à dos vissé sur le dos, approche de mon jaracanda. Il ne semble pas me remarquer ; moi, au contraire, je le remarque : il fait voler ses jambes de part et d’autres de son bassin ceinturé. Sa démarche rocambolesque éveille mon intérêt ; je l’observe avec amusement. Avec amusement certes, mais également avec méfiance. J’ai beau connaître les effets de l’absence de pression sociale sur le comportement humain, je ne peux m’empêcher de juger celui de ce nouvel arrivant comme étant… déviant. Il s’arrête sous un arbre, lève les yeux vers sa cime, tourne sur lui-même, puis repart. Il passe devant sous les feuilles dentées du jaracanda, sans même me regarder. A nouveau, il s’arrête sous un arbre ; les mains agrippées à son bassin, il se transforme en girouette. Mes jumelles se replacent devant mes yeux interrogateurs. Avec leur précieuse aide, je vois mon sujet cueillir les fruits de son donneur d’ombre. Je murmure, « tiens donc, j’irai voir à quoi ressemble ces fruits. » Il se remet en marche pour finalement disparaître derrière d’épais troncs massifs. 

Je reprends mon exploration : niché sur ma branche, je regarde au loin les immeubles de Porto Alegre. À chaque foyer sa climatisation. J’imagine que ces appartements sont chers, du moins plus chers que ceux de la tour où j’habite. Je relâche mon intention quelques instants : depuis mon arrivée, des merles à ventre rouge chassent les insectes sur les sols couverts de feuilles mortes. Leurs puissants coups de bec font violemment craquer ces composés de lignine jaunis par un Soleil de plomb. Parfois, ces brisures trompent mes sens et me font croire qu’un promeneur est en approche. Alors mon regard se retourne, mais ne rencontre que ces petites boules de plumes. Tant que leur faim ne sera pas assouvie, elles retourneront inlassablement toutes les feuilles du parc ; je m’habitue rapidement à leur présence bruyante. 

Au loin, j’aperçois un homme : il contourne le lac en direction de la fraîcheur de mon jardin. À nouveau, mes jumelles et moi faisons équipe et partons en reconnaissance. Le marcheur est un homme blanc, chauve, vêtu d’un polo bleu foncé et d’un short gris. Son ventre exhibe un appétit solide et son torse de nombreux passages dans un club de musculation. À son tour, il me repère et fait un geste que j’ai inconsciemment interprété comme étant un bras d’honneur – à tort ? Ses chaussures blanches le portent jusqu’à ma position. Il me voit, mais, contrairement aux autres promeneurs, ses yeux me scrutent attentivement. Mes jumelles à peine rangées dans mon sac, j’invoque ma vision naturelle pour surveiller ses moindres mouvements. Ses regards parviennent jusqu’à moi, sans qu’aucun d’eux ne soient accompagnés de message sonore. Il s’éloigne ; il me montre son dos, mais, tout en marchant, ne peut s’empêcher, périodiquement, de pointer le bout de son nez dans ma direction. Mais il se comporte, comme son homologue bipède vu plus haut, de façon étrange. Il ne semble pas avoir de destination, il tourne autour des arbres sans jamais s’arrêter, sans but précis. Ses regards, quant à eux, s’arrêtent bien à un endroit : moi. Je commence à me méfier. J’abandonne mon jeu futile pour me concentrer sur le moindre geste de ce désormais indésirable personnage. Mes muscles se tendent légèrement, mon rythme cardiaque s’élève, mes pupilles accueillent davantage de lumière. Soudainement, les bruits sont plus clairs, plus puissants dans mes oreilles.

Sur ma branche, les jambes accroupies, les mains habillement appuyées sur l’écorce craquelée du jaracanda, j’attends. Le maraudeur reprend sa marche, je vous laisse deviner dans quelle direction. Je ne veux lui laisser aucune marge de manœuvre, alors je sors mon portable et feins de passer un appel. J’imaginais qu’il allait se méfier à son tour. Tout en parlant à mon interlocuteur imaginaire, je foudroie l’homme chauve d’éclairs de défiance. Mes lèvres s’agitent, mais aucun son ne remonte de ma cheminée vocale. Il passe, perplexe – inquiet ? – à la vue de mon changement d’attitude. J’accompagne le mouvement de mes jambes en pivotant agilement mes pieds. 

Son chemin bute devant un arbre feuillu : le corps face au lac des ibis à face nue, son visage trace une bissectrice jusqu’à mon emplacement. Je passe un second coup de fil imaginaire, suivi d’un pianotement fictif sur le clavier digital de mon portable. Vais-je le dissuader dans sa démarche ? Car sa démarche, je l’ai bien comprise. Elle est similaire à celle des hommes que j’eus un jour croisé, aux abords d’une plaine de festival abandonnée. J’ai mes couverts avec moi : mon couteau denté se faufile dans une poche facilement accessible de mon sac, au cas où. Je décide de patienter quelques instants. Pendant cette brève accalmie instinctive, je décide de lire quelques lignes d’un livre récemment acquis : la Bible de Néon ouvre ses brillantes pages blanches sur le petit écran de mon portable. 

Après quelques ajustements techniques, je me rends compte que j’ai à disposition une arme capable de renvoyer l’ancien observé, devenu observateur, à ses rêves libidineux. Je ferme mon livre, mets mon portable en mode veille et braque ce dernier vers l’arbre feuillu. Le capteur de l’appareil photo intercepte l’essentiel des photons lumineux trahissant l’identité du rôdeur chauve. Il s’agite, pense que je le filme ou que je prends une photo. Instantanément, ses mains entrelacées retombent près de son bassin, imitant le mouvement de fuite initié par ses frêles jambes. 

Il contourne à nouveau le lac, empruntant cette fois le chemin du retour, jette à nouveau quelques regards inquiets, puis disparaît de mon champ de vision. Je ne le reverrai pas. 

Le calme reprend sa place parmi les brises automnales de ce bel après-midi. Depuis mon observatoire, j’ai une vue à trois cent soixante degrés et il n’est pas rare que je profite de cette liberté de mouvement pour observer mon environnement. 

Je pivote, pivote, pivote encore un peu et retrouve cette présence familière : le clown. Il est assis, adossé à un tronc d’arbre, à une quinzaine de mètres de mon fauteuil ligné. Les merles à ventre rouge ne sont plus là. Le clown agite ses bras, son regard dirigé vers l’Ouest. Je me tourne vers ce point cardinal, « Qu’est-ce qu’il regarde comme ça ? », me demandais-je. J’aperçois un cycliste, son vélo est posé contre un arbre. Je me méfie à nouveau. Le clown se relève : cette fois, il fait face à l’arbre. Je ne vois plus que sa jambe droite et une partie de son tronc dévêtu, mais je devine facilement qu’il est en train de baisser, et son pantalon, et ses sous-vêtements. « Il va pisser, comme ça, tranquille ? », m’étonnais-je. Uriner, non. Je ne reconnais que trop bien le mouvement de balancier de son bras droit, les à-coups frénétiques de son poignet, la légère courbure qu’adopte son échine : le clown se masturbe, et j’y assiste, mi-médusé, mi-amusé. Le cycliste, le champ de vision découvert jusqu’au clown lubrique, ne bouge pas et observe. 

Je pense en avoir assez vu. Aussi ai-je décidé de descendre de mon jaracanda favori, d’enfiler mes claquettes et de quitter ces lieux. 

Emotions et découverte, voilà des choses qu’un canapé ne peut offrir. 

 

Histoire d’une vie rêvée 

 

Chapitre 17 : 

 

Cette nuit, comme souvent, j’ai rêvé. Il était minuit passé quand cela s’est produit. Je n’arrivais pas à fermer l’œil malgré la fatigue, mais le marchand de sable m’a tout de même forcé la main. 

A peine endormi, je me mets à rêver. Ce rêve, je le raconte plus bas. Puis, je me réveille, une minute après. 

Cela m’arrive fréquemment : je m’endors, rêve, puis me réveille. Au total, plus ou moins une minute s’est écoulée. Comment puis-je rêver aussi vite après avoir fermé les yeux, puis me réveiller tout aussi rapidement ? Comment mon rêve a-t-il pu paraître si long alors que je n’ai dormi que si peu de temps ? 

« Tu as dormi plus d’une minute », pourrait-on me répondre. Non. Non, car autour de moi rien n’a changé : ni ma position dans le lit, ni mes colocataires qui cuisinent à minuit passé, ni la position de la Lune dans le ciel, ni mon visage, dont l’apparence devrait être affectée le sommeil avait été prolongé ; rien n’a changé autour de moi, si ce n’est que nous sommes, dans mon appartement, tous plus vieux d’une minute. 

Ce n’est pas la première fois que cela arrive. En France déjà, ces sommeils expresses couplés de rêves se produisaient déjà. Une nuit, avant de m’endormir, je regardais mon réveil sans vraiment y prêter attention. Je découvrirai par la suite que j’avais tout de même parfaitement retenue l’heure affichée. Je m’endors, rêve, puis me réveille. À nouveau je regarde le réveil : une minute s’était écoulée ; peut-être moins, ou un peu plus, les secondes n’étaient pas affichées par le réveil. 

Je me souviens de quelques notions importantes de Relativité Restreinte.

PS : pour ceux qui s’y connaissent dans le domaine, veuillez excuser mon savoir profane. Je serai ravi d’échanger sur le sujet. 

Le temps propre : temps qui s’écoule selon le référentiel dans lequel on se trouve.

Comment ai-je pu vivre autant de chose dans mon rêve sachant qu’une seule minute s’est écoulée pour mon corps, allongé dans mon lit ? 

Le temps s’écoule-t-il de la même façon dans la réalité que dans les rêves ? Quand je rêve, mon corps est dans mon lit, c’est quelque chose que l’on peut facilement vérifier, mais quand est-il de mon esprit ? Où est-il ? A-t-il rejoint un référentiel différent où ce qui peut paraître une éternité dans les rêves ne se produit en réalité qu’en très peu de temps dans notre réalité physique ? 

Simultanéité du temps : on parle de simultanéité quand deux horloges affichent la même heure (pour faire simple) dans deux référentiels différents. 

Le temps s’écoule-t-il de la même façon dans la tête de ma cousine, de votre oncle, du cardinal Barbarin et de ses choristes, de mon chien et de la mienne ? Chacun de nos rêves appartiennent-ils chacun à des référentiels différents ? 

La relativité restreinte place la vitesse d’un objet au cœur de son modèle. Selon la vitesse d’un référentiel donné, le temps ne sera pas perçu de la même façon par un observateur extérieur à ce référentiel et un observateur à l’intérieur de ce même référentiel. 

La lumière, dans la théorie, a une vitesse absolue. Si je me souviens bien, c’est souvent par rapport à la vitesse de la lumière dans le vide que l’on compare la vitesse d’autres objets ou référentiels. Et la lumière, dans les rêves, elle est bien présente. Pourquoi pas après tout ? On voit bien ce qu’il se passe dans les rêves. Est-ce car il y a de la lumière ou est-ce un tour de passe de notre gros cerveau graisseux ? Si la lumière est effectivement présente dans les rêves, ces derniers ne doivent-ils pas être soumis à quelques phénomènes physiques ? 

Mais ces notions de relativité restreinte sont-elles à même de m’éclairer sur les rêves ? Quelles autres pistes peuvent venir enrichir ce questionnement ? 

Ce qui est sûr c’est qu’il y a un pont entre le rêve et le corps. Comment pourrais-je me rendre compte que je rêve sinon ? Comment ordonner à mon corps d’ouvrir les yeux quand je suis terrorisé par un cauchemar ? Comment justifier les rêves humides sans cela ? Comment justifier que certain de mes sens, autre que la vision, soient parfois actifs dans les rêves ? 

Evidemment, ne vous attendez pas à trouver des réponses dans cette foire aux questions. Je suis moi-même conscient du bazar qui y règne et de ma confusion devant un phénomène si fascinant qu’est le rêve.

Maintenant, fermez les yeux, place au rêve.

Cette nuit, je suis dans la rue, avec mon père, et il fait jour. Je ne me souviens pas avoir échangé avec lui cette nuit-là. Nous marchons dans je ne sais quelle ville, avec je ne sais quel objectif en têtes, quand un bus s’arrête devant nous, à quelques mètres de notre emplacement. Ce long transporteur ressemble à ces bus publics qui ballotent les habitants de Porto Alegre de part et d’autre de la ville. Je n’ai jamais vu que l’extérieur de ces bus, d’où cette probable vision externe de l’engin. 

Je m’approche du bus tout en lui lançant de petits cailloux, que je ne me souviens pas avoir collecté puisque à aucun moment du rêve je ne m’étais baissé pour ramasser quoi que ce soit.

Toujours étant, je bombarde les fenêtres du bus de mes projectiles rocheux dans l’espoir d’en faire pénétrer quelques-uns à l’intérieur. Je ne prête pas attention à mon potentiel succès car je suis rapidement attiré par le chauffeur du bus. Ce dernier se penche à droite de son siège tout en me scrutant du regard, comme pour m’interpeller. À mesure que je m’approche, la porte de son véhicule s’ouvre. Bientôt, nous sommes face à face : lui sur son trône, moi en bas des marches. 

Il ne prononce aucune parole. Je le regarde. 

Soudain, son visage se décompose en un amas difforme et sa peau rosé se teint d’un bleu sombre et d’épaisses taches grises. 

Je reconnais immédiatement les effets d’une zombification expresse. 

Je me retourne pour fuir, rejoins mon père, mais est arrêté quelques mètres plus loin par des promeneurs devenus fous et affamés. Avec l’espoir, la nuit s’effondre sur nos petits corps encore sains. 

Je recule de quelques pas, me retourne pour fuir, mon père à mes côtés, mais, soudain, la nuit tombe, les voitures prennent feu et les promeneurs se transforment tour à tour en monstre affamés. 

Je tente de les repousser, d’abord avec un fusil à pompe non seulement imaginaire du fait de mon rêve, mais également fictif dans celui-ci car il n’apparaît même pas dans mes mains.

Nouvelle approche, j’y vais avec les poings, mais rien n’y fait. Je suis aux prises avec l’un d’entre eux ; la nuit n’est plus que percée que des lueurs des flammes. Puis, plus rien.

Histoire d’une vie rêvée 

 

Chapitre 18 : 

La nuit recouvre la place des Molènes. La pluie, de son côté, charge l’air d’une chaleureuse humidité. Je suis en compagnie de deux amis, non-identifiés, à la recherche de quelque chose ; je ne sais pas quoi. Je suis en tenue sportive : mon habituel débardeur vert et bleu électrique et mon short noir. Mon haut a subi les passages du temps et de l’effort car, désormais, son tissu se tord. 

Je me dirige vers une des seules sources lumineuses de la place : un petit square pour enfant éclairé par une lumière orange. Je suis maintenant son seul occupant ; je cherche à m’abriter de la pluie, mais celle-ci bombarde sans discontinuer mes épaules de ces gouttes chaudes.

Soudain, une folle envie d’uriner me prends ; le décor décrit précédemment s’évanouit : je suis dans l’obscurité quasi-totale, mes amis ont disparu ; se tiennent à présent deux cavaliers et leur monture de la police montée devant l’ancienne porte de l’école des filles. Ils observent les alentours ; j’en fais de même de peur d’être repéré.

Enfin, je trouve l’arbre idéal et commence mon œuvre de fertilisation de son terreau. Subitement, les cavaliers s’animent : m’ont-ils vu ? Est-ce une composante du script onirique que d’uriner dans un lieu public pour stimuler ces deux représentants de la loi ? 

Deux nouveaux agents de l’ordre apparaissent sur la Rue Chevalier. Leurs deux collègues, précédemment si concentrés à leur tâche, partent au galop dans la rue et leur faussent compagnie. L’un des nouveaux arrivants se lancent également dans la course : je ne les reverrai jamais. 

Je profite de cette diversion inespérée pour m’échapper. Je quitte mon refuge de lignine, me dirige vers la rue Des Moulins, mais suis rapidement ralenti dans ma fuite quand une colonne d’humains se met à jaillir de l’ancienne entrée de l’école des garçons. Toute vêtue d’habits sombres, la procession se divise bientôt en deux sous colonnes. Je continue ma route, pensant être à l’abri des regards derrière ce défilé silencieux. Je regarde par-dessus mon épaule : un des cavaliers est toujours-là, il me suit. Je me dis qu’il n’est pas bien utile de se cacher derrière ce reflux humain car le policier, de sa monture dressée, n’a pas d’obstacle visuel. 

C’est le moment de courir. J’arrive à l’extrémité de la place des Molènes et butte sur une imposante grille imaginaire. Ses portes sont ouvertes ; dans l’entre deux portes, je rencontre un agent municipal en plein nettoyage nocturne. Nous nous saluons, puis je reprends ma course effrénée. 

A gauche, rue des Moulins, puis premières à droite, avenue Albert 1er. J’arrive au croisement de cette dernière avec larRue du Bois des Moines plus vite qu’un Usain Bolt dans les bonnes grâces de ses quadriceps. Avant de prendre à droite, je regarde une dernière fois dans mon dos : personne, je suis seul, avec la nuit. 

Je cherche tout de même un refuge. Voilà maintenant que j’emprunte une rue fictive pour arriver devant le mur explosé d’une grande maison blanche. De hauts thuyas se chargent d’apporter une touche d’intimité à ce château urbain.  L’ouverture dans le mur est suffisamment grande pour que je m’y faufile, mais, à nouveau, je tombe sur un obstacle : sur le sol couvert d’épines de sapin se trouve un marquage, un point rouge de la taille d’un pancake. Un torrent de questions se déverse dans ma tête : est-ce un système de sécurité avancé ? Vais-je me faire tirer dessus ou même être filmé si jamais j’atteins ce point ? Quoiqu’il en soit, la dissuasion a été efficace ; tapis sur le sol, je regarde les fenêtres, ouvertes sur un intérieur sombre, de cette grande demeure, puis je rebrousse chemin. 

J’arrive devant une autre maison dont le portail est ouvert : c’est ma chance ! Chance contrariée quand j’aperçois un imposant SUV, et ses phares rouge sang dans la nuit, en pleine manœuvre de stationnement dans une petite cour recouverte de graviers et de rares touffes d’herbes. 

Mon regard se pose sur une autre maison. Puis, plus rien.

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