Êtes vous plutôt pour ou contre les rires enregistrés dans les séries ? Certains les apprécient, y trouvent des compagnons virtuels avec qui partager les meilleurs moments comiques de leur série préférée, d’autres ne supportent pas leur fausseté et leur dimension systématique. Retour sur le phénomène du laugh track ou canned laughter, très caractéristique des sitcoms que l’on connaît.
A l’origine : la Laff Box de Charley Douglas
Tout commence avec l’invention d’un mystérieux instrument par Charley Douglas, un ingénieur du son américain, au début des années ’50 : La Laff Box. Cet objet en apparence similaire à une machine à écrire va vite représenter une réelle révolution dans le monde des rires enregistrés.
Cette invention cherche à répondre aux problèmes posés par l’enregistrement des séries télévisées en live : le public ne rit pas au bon moment, s’esclaffe trop longtemps, ou au contraire pas assez longtemps… Charley Douglas a donc l’idée de créer sa Laff Box, littéralement «boîte à rires» contenant une palette de rires différents. Chaque touche correspond à un type de rire, pour un total de 320 manifestations variées, allant du rire gras au rire fluet, ce qui permet aux producteurs d’obtenir des rires homogènes correspondant parfaitement à leurs attentes.
Convoitises et concurrences de la Laff Box
La Laff Box obtient rapidement le monopole des rires additionnels et fournit une audience fictive à la majorité des séries des années ’50 et ’60. Parmi les plus notables : Bewitched (Ma Sorcière bien-aimée) ou encore The Munsters. Le secret de fabrication de la Laff Box était gardé si précieusement que lorsque la machine devait être réparée en plein tournage, on l’emportait dans la salle de bain pour que personne ne puisse percer ses secrets. Cependant, dans le courant des années ’70, le monopole de Douglas s’effondre. D’autres ingénieurs ont saisi le principe de la Laff Box et commencent à l’exploiter à leur tour. Les rires deviennent plus subtils au fil des innovations techniques.
Au-delà, une nouvelle tendance se dessine qui vient concurrencer l’invention de Douglas. De plus en plus de shows sont de nouveau tournés en public, avec une véritable audience. On vante la réaction spontanée du public, plus naturelle que les rires mécaniques de la Laff Box. Les scénaristes sont d’ailleurs présents sur le plateau afin de réécrire en direct les blagues qui ne prennent pas ! La plupart reprennent ensuite les rires en post-production pour les arranger comme il leur convient mais l’effet est assurément plus naturel que dans le cas des boîtes à rire.
Un phénomène en voie de disparition aujourd’hui
Aujourd’hui, les rires additionnels se font rares, si ce n’est inexistants. Beaucoup voient dans le dernier épisode du sitcom The Big Bang Theory, sorti en 2019, la fin de l’ère des rires enregistrés. Ceux-ci semblent en effet être assez datés par rapport aux normes esthétiques des séries comiques actuelles. L’arrivée de The Office dans le panorama des sitcoms a par ailleurs prouvé qu’une série pouvait très bien fonctionner sans utiliser cette technique. A ce titre, le journaliste Chris Taylor a relevé que depuis l’obtention de son premier Emmy en 2006, plus aucun programme utilisant des rires additionnels n’a été récompensé comme meilleure série comique.
Par ailleurs, plusieurs études scientifiques ont démontré que cette pratique n’était pas neutre et qu’elle avait une véritable influence sur notre façon de rire. Des chercheurs de l’University College de Londres (UCL) ont ainsi montré deux versions d’un show humoristique (avec ou sans les rires enregistrés) à deux groupes différents. Ceux qui avaient la version avec les rires se sont avérés être très bon public et riaient beaucoup plus aisément que les autres.
Ces rires enregistrés nous poussent ainsi à glousser à des blagues que l’on n’aurait pas forcément trouvées drôles en temps normal. C’est tout le phénomène du rire communicatif, on apprécie davantage le ressort comique d’un feuilleton, ou d’un spectacle, lorsqu’on le partage à plusieurs.
Les rires enregistrés restent malgré tout une partie intégrante de l’identité de certains sitcoms, même s’ils ne sont pas totalement neutres. Pour s’en rendre compte, rien de mieux que d’aller regarder un extrait de Friends (comme celui-ci), où les rires enregistrés ont été coupés. On frôle le malaise !
Marjolaine Milon
Sources :
Les sitcoms ont définitivement dit adieu aux rires enregistrés | Slate.fr
RIP canned laughter, the most evil innovation in TV history | Mashable
Pourquoi les rires des sitcoms paraissent-ils si faux ? (radiofrance.fr)
(5980) Les rires enregistrés des Sitcoms influencent votre sens de l’humour – YouTube
Rires dans certaines séries tv : pourquoi sont-ils présents ? (pause-canap.com)
Image de couverture : http://cb-news.de/preview_no.php?id=301&instance=11755