Un éloge du cinéma en tant qu’histoire
Babylon est le dernier film de Damien Chazelle. Après Whiplash et La La Land, le réalisateur nous offre un nouveau tableau d’acteurs. À travers Brad Pitt et Margot Robbie, Chazelle fait part d’un véritable éloge du cinéma, des films muets jusqu’aux images de synthèse les plus récentes.
Sorti en salle le 18 janvier 2023, Babylon ouvre la nouvelle année avec plus d’un million d’entrées. Une goutte d’eau comparé au deuxième volet d’Avatar et ses 12 millions d’entrées. Cependant, le film réalisé par Chazelle n’a pas à rougir de son succès. Aux apparences déjantées, ce long métrage retrace implicitement l’histoire du cinéma, de ses origines à notre époque. Ce qui s’assimile à un festin de débauche n’est ainsi pas dénué de subtilité.
Au commencement : avant les années 1930
Ce qui est étrange dans ce film, c’est avant tout le fait que le crash boursier de 1929 soit passé sous silence. De même pour la Grande Dépression, dont nous n’avons que de vagues échos à travers le film. Pour comprendre pleinement la dimension artistique de Babylon, il semble donc nécessaire d’en rappeler au préalable le contexte historique. La Première Guerre mondiale achevée en 1918, les années 1920 font office de libération des mœurs. La drogue coule à flots, la morale se relâche. Néanmoins, 1929 rompt la continuité et influe considérablement sur l’Art. Dans le film, cela se matérialise par le frein mis à la carrière de Jack Conrad (Brad Pitt) et Nellie LaRoy (Margot Robbie), qui se voient dépassés par le progrès social. Le jeu sulfureux de LaRoy devient alors vulgaire voire pornographique aux yeux de l’opinion publique. Conrad devient quant à lui ringard, par ses répliques sentimentalistes et dépassées. Comme le souligne la chroniqueuse interprétée par Jean Smart, chaque acteur a son heure de gloire.
Le progrès indissociable d’Hollywood, et pourtant…
Bien que le progrès forge le rythme de l’industrie cinématographique, il existe un paradoxe. En effet, pourquoi produire un film sur un jeu d’acteur dépassé ? Cela n’aurait aucun sens. Pour autant, les personnages demeurent profondément attachants. Cela prouve bien que le vintage a son importance pour le spectateur. Là où le progrès impressionne, il dissuade aussi. Retourner en arrière permet également de contempler le chemin parcouru. Tous ces aspects font de Babylon un éloge cinématographique au travers du temps. Le cinéma muet, par exemple,met davantage en valeur la gestuelle, les émotions du jeu de l’acteur. Le vintage devient alors la possibilité pour le public de retrouver un trait perdu ou altéré par le cinéma moderne. Babylon s’inscrit dès lors dans une démarche généalogique, partiellement nostalgique, d’un cinéma presque entièrement révolu. Cet aspect à la fois brut et pur du cinéma hollywoodien des années 1930 se retrouve à d’autres égards. Notamment lorsqu’un figurant se fait empaler par un pieu, ou encore lorsque des incendies se déclarent sur le plateau. Ici, le paradoxe se résume donc à la superposition distincte de plusieurs périodes du cinéma, le tout en partant d’une démarche historiographique. Car ce qu’a réalisé Chazelle s’apparente bel et bien à une histoire du cinéma.
Babylon : la cité disparue refait surface
A l’origine, Babylon(e) est une ancienne cité de Mésopotamie (Irak). A son apogée (VIe siècle av. J-C), elle était l’une des plus grandes cités du monde, le centre névralgique d’un Empire s’étendant sur la majeure partie du Moyen-Orient. Aujourd’hui, la cité est en reconstruction. Pour Damien Chazelle, la cité perdue prend donc la forme d’un film. Par un message sous-jacent, il tend à nous faire comprendre que la cité qu’est le cinéma, n’est peut-être pas définitivement perdue. Par le titre même de son film, Chazelle étend la comparaison entre la cité perdue et son œuvre. Comme la cité réelle, le cinéma s’est construit sur de solides fondations que sont, entre autres et comme évoqué précédemment, le cinéma muet. Le vintage dans le cinéma ne disparaît donc jamais vraiment, puisque malgré la mort physique et morale des acteurs, cela n’inclut pas leur fin abrupte et irréversible. Le film en tant que tel leur permet de rester en vie, d’une façon occasionnelle et spontanée. L’œuvre d’art joue ainsi le rôle de vecteur temporel entre le vintage et le spectateur.
Une mise en abyme comme bouquet final
A la toute fin du film, dès lors que nous apprenons le déclin des protagonistes, nous est fournie une scène particulièrement équivoque. Progressivement, à travers le temps, de courts extraits de divers films sont projetés. Nous pouvons en particulier observer un court passage d’Avatar et d’autres films, tout cela formant alors une sorte de frise chronologique. C’est à ce moment que nous comprenons la mise abyme et sa portée : le cinéma se construit en entité uniforme et indissociable, sans égard au temps ni aux effets de modes.
Doryann Lemoine
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