« Une langue sans mot »

Dans l’ouvrage nommé Les Voyages de Gulliver (1726) rédigé par la plume de Jonathan Swift, satiriste et écrivain anglo-irlandais, la discipline interrogée est la linguistique. Trois professeurs discutent sur les moyens de perfectionner leur langue et en somme, de la décomplexifier. Deux propositions en ressortent : la première, garder une syllabe des mots qui en comportent plusieurs pour avoir une phrase plus concise et ne conserver que les noms puisque seuls ces derniers désignent des choses, des êtres ou des concepts réels ; la deuxième, d’abroger tous les mots. Le narrateur répond ironiquement à la deuxième proposition en déclarant que les paroles que l’on prononce raccourcissent la durée de notre vie. Il renchérit sur la première proposition, mais cette fois-ci sur le ton de la satire, en exagérant ses propos à un tel point que cela devient ridicule : il propose que chaque personne porte sur lui toute les choses dont il a l’intention de parler. Le propos est grotesque quoique presque convaincant car il en expose deux avantages : le premier, quand l’on se trouve chez soi, tout se trouve à portée de main, ainsi il peut facilement les transporter à sa guise ; le deuxième, lorsqu’il se trouve avec les étrangers, les outils sont généralement similaires et ne nécessitent aucune transcription ; mais aussi un inconvénient, celui de porte sur son dos une très grosse charge quand la conversation est loquace et volubile.        

Il y a deux théories du vingtième siècle qui ont évoqué une réponse au problème posé. La première est la théorie de Shannon et Weaver (1949), un modèle de communication mathématique. Ce modèle est composé d’un émetteur -une entité abstraite- et d’un codage qui est un système utilisé pour donner forme au message. Ce message traverse un canal de communication qui permet d’acheminer le message. Dans son cheminement, l’information rencontre du bruit qui est produit par des perturbations entrant dans le canal. Le bruit tente de brouiller le message et crée des interférences. La réception du message se manifeste par un processus appelé décodage qui est recueilli par le récepteur. Plus la source émet des informations différentes et nombreuses, plus l’entropie, c’est-à-dire l’incertitude sur ce que la source diffuse, est grande. Le principe de redondance, du point de vue de l’émetteur, intervient alors : l’information d’un message redondant diminue l’incertitude de celui-ci. Du point de vue d’un récepteur, on parle de néguentropie quand le récepteur est capable de comprendre le message sans tout avoir reçu en reconstruisant lui-même l’information. L’inconvénient de ce modèle est qu’il est unilatéral. Il sous-entend un codage et un décodage commun tel que le morse puisque ce schéma est linéaire. La seule solution est de connaître le même code.

La deuxième théorie, quant à elle, est celle de Wiener (1948), un modèle de communication cybernétique, qui a contrario de la première théorie, est un schéma circulaire. Ce modèle est composé des mêmes éléments que le premier à la différence que le message se nomme feedback. Le principe de circularité implique que le récepteur devient émetteur de nouveaux messages : on appelle cela la boucle de rétroaction. Le principe de feedback se caractérise par le fait que le récepteur indique que le message a été reçu. Si ce n’est point le cas, le récepteur fait preuve de redondance. Ce système, très avantageux, s’adapte et se transforme progressivement à mesure que les messages sont reçus. Ce genre de modèle crée un lien social tel les cartes de vœux par exemple. Alors, pour quel professeur, parmi les trois, prendriez-vous parti ? 

Jessy Lemesle

Couverture : © Photo de Sumit Mathur, Pexels

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