Les mots sont des images

L’exposition à la Maison européenne de la photographie (MEP) intitulée « Extérieurs, Annie Ernaux et la Photographie » met en regard des textes de Journal du dehors d’Annie Ernaux et des photographies de la collection du musée, et nous invite à une prise de conscience au quotidien. 

L’écrivaine Annie Ernaux – qui a participé à la conception de cette exposition – entretient dans son œuvre une relation étroite avec la photographie. Lauréate du prix Nobel de littérature en 2022 et figure intellectuelle majeure, elle est connue pour ses œuvres autobiographiques sur l’émancipation sociale et intime. Dans Journal du dehors, publié en 1993, elle retranscrit des scènes de vie quotidienne dans les rues, les trains ou les magasins entre Cergy-Pontoise et Paris de 1985 à 1992. Elle y évoque sa tentative d’écrire comme si elle fabriquait des images : « J’ai cherché à pratiquer une sorte d’écriture photographique du réel, dans laquelle les existences croisées conservaient leur opacité et leur énigme ». Des passages du journal sont affichés sur les murs, tels des tirages photographiques. Ils résonnent avec les cent cinquante clichés réalisés par vingt-neuf photographes dans différents pays, comme la France, l’Italie ou le Japon, sur une large période allant de 1940 à 2021. 

Les photographies de scènes quotidiennes dévoilent comment les événements ordinaires observés dans la ville nous renvoient à des inégalités et à des stéréotypes sociaux et comment l’espace public affirme les identités, que ce soit de classe, de genre ou d’âge. Les clichés pris dans les transports en commun font par exemple écho avec les textes de l’écrivaine qui décrivent nos rituels de déplacement. Les images donnent une dimension intemporelle à des moments éphémères, des arrêts sur des images de la vie : la femme au gant sur un escalator, des personnes entassées dans un wagon de train…

« Noter les gestes, les attitudes, les paroles des gens que je rencontre me donne l’illusion d’être proche d’eux. Je ne leur parle pas, je les regarde et les écoute seulement. Mais l’émotion qu’ils me laissent est une chose réelle. », explique l’écrivaine. L’exposition relie l’intime à l’espace public : centre d’observation, lieu de confrontation, de rencontre et de notre performance de classe et de genre, mais qui évoque aussi les sentiments de peur et de solitude. Dans la ville, des scènes diverses se déroulent simultanément, des personnes s’entrecroisent et partagent l’espace, le temps d’un instant, mais peuvent en ressortir transformées. En quittant le musée, on est plus attentif aux petits détails du quotidien, aux conversations et aux bruits de la ville.  

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *