« Plus je fais l’amour, plus j’ai envie de faire la révolution. Plus je fais la révolution, plus j’ai envie de faire l’amour. » Voilà un autre slogan brandi en mai 1968, incarnant parfaitement l’importance que la révolution sexuelle de la fin du XXe siècle tient, avec un lien indivisible entre sexualité et liberté.
La révolution sexuelle des années 1960 et 1970 s’inscrit dans un processus historique de longue durée. Elle s’est développée notamment à la fin du XIXe siècle par la naissance de la sexologie, c’est-à-dire l’étude de la sexualité humaine (avec l’apport de Henry Havelock Ellis et de Magnus Hirschfeld à la libération homosexuelle, et la création de l’Institut de sexologie de Berlin en 1919 notamment). Elle se manifeste également dans les libertés sexuelles de l’entre-deux guerre, et se déploie enfin après la Seconde Guerre Mondiale, dans un contexte de reconstruction sociale des sociétés occidentales. Plus directement, la révolution sexuelle est tout d’abord issue de la Suède en 1960 où l’on marque son commencement, ainsi que des luttes de mai 1968 en France.
La libération sexuelle peut se définir comme la « conquête d’une vie sexuelle non exclusivement reproductive et dégagée du carcan de l’institution du mariage. Cette révolution consiste en la modification en profondeur des mentalités, des valeurs, des savoirs et des comportements dans le sens d’une conception optimiste et positive de la sexualité fondée sur la reconnaissance du plaisir sexuel comme source d’épanouissement1. »
La science et la libération sexuelle
Concrètement, il s’agit d’un mouvement qui a pu se développer grâce aux avancées scientifiques des années 1960 et 1970,transformant les conditions de la vie sexuelle en développant des outils légitimant la vie sexuelle non reproductive. C’est notamment le cas par la commercialisation de la pilule contraceptive autorisée par la FDA (Food and Drug Administration) en 1960.
Libération sexuelle et féminisme
La liberté sexuelle n’est pas qu’un simple débridement à l’intérieur des chambres mais une réelle révolution des mentalités, notamment quand elle est associée à la deuxième vague féministe. Alors que la première vague revendique davantage de droits civiques pour les femmes (particulièrement le vote), cette deuxième vague insiste sur l’autonomie corporelle et la lutte contre les stéréotypes liés au genre. Le slogan mis en avant est « le privé est politique », tiré de la pensée féministe américaine, et le droit à l’avortement ainsi qu’à la contraception sont des enjeux majeurs.
Ainsi, cette vague féministe participe à un élan de libération, avec l’arrêt Roe v. Wade opté en 1973 aux Etats-Unis (révoqué en 2022) qui assure le droit à l’avortement pour toutes les femmes aux Etats-Unis. Une libération qui se fait également avec l’adoption de la CEDEF (Convention sur l’Elimination de toutes les formes de Discrimination à l’Egard des Femmes) par l’assemblée générale de l’ONU en 1979. Néanmoins, bien que certains mouvements discrets de femme racisées, ouvrières ou lesbiennes luttent pour ne plus être invisibilisées, la seconde vague était principalement portée par les femmes blanches et de classe moyenne ou bourgeoise. Le mouvement craint que le fait de mettre en avant les revendications homosexuelles ne les discrédite étant déjà accusé de ne pas correspondre aux normes sociales de la sexualité à travers des expressions vulgaires et violentes. Ce n’est finalement qu’à la fin des années 1980 que l’intersectionnalité2 va réellement être prise en compte dans les mouvements féministes, se conjuguant entre autres avec les questions d’identité de genre et d’orientation sexuelle.
Libération sexuelle et droits LGBTQI+
Mais ces questions de libération sexuelle pour la communauté LGBTQI+ (identité de genre, orientation sexuelle) occupaient déjà une place importante dans la révolution sexuelle des années années 1960-1970. S’il existe un monde homosexuel florissant dans les années 1920-1930 ce n’est pas le cas des mouvements homosexuels, rares et souvent victimes de la censure. Cette marginalisation s’est intensifiée avec les périodes de répression, illustrant ainsi que ce qui semble relever de la sphère privée est en réalité lié à un droit fondamental à la liberté.
C’est donc surtout suite aux émeutes de Stonewall3 en juin 1969 en réaction à une descente de policers dans un bar gay que les mouvements homosexuels commencent à prendre de l’importance, cet évènement étant considéré comme le premier mouvement LGBTQIA+ aux Etats-Unis. S’inspirant des mouvements féministes et antiracistes contemporains, la communauté gay politise son combat notamment avec la création en 1978 du drapeau arc-en-ciel, symbole mondial du mouvement4.
Les Nouveaux Mouvements Sociaux
Nous pouvons donc voir dans la révolution sexuelle la naissance des Nouveaux Mouvements Sociaux5 comme le MLF (Mouvement de Libération des Femmes) et le FHAR (Front homosexuel d’action révolutionniare) respectivement créés en 1970 et 1971. Ces deux mouvements sont à la fois hérités de mai 1968 et se sont également constitués en réaction à un ressenti d’exclusion au sein des courants militants de l’époque.
Le MLF et le FHAR travaillent alors en étroite collaboration , par exemple lors du sabotage en 1971 du meeting de l’association anti-avortement Laissez-les vivre. Cependant, , la composition du FHAR se fait rapidement de plus en plus masculine. Au bout de quelques années, le FHAR périclite et est remplacé par les GLH (groupes de libération homosexuels) , tandis que des lesbiennes militantes principalement issues du groupe MLF fondent l’éphémère groupe des « Gouines rouges ».
Ainsi la libération sexuelle, en plus de faire évoluer les mentalités de l’après guerre se témoigne également par la création des Nouveaux Mouvements Sociaux qui sont censés partager une vision globale de la justice. La sexualité est donc effectivement politique : un enjeu de liberté qui résonne toujours dans les problématiques et débats contemporains. Si elle a pu gagner en visibilité dans les années 1960-1970, la liberté sexuelle s’était déjà développée auparavant, et continue d’évoluer.
Solveig Ambec
Notes
- Encyclopédie d’Histoire Numérique de l’Europe. ↩︎
- Intersectionalité : concept de sociologie proposé par Kimberlé Williams Crenshaw en 1989 qui consiste à comprendre comment les caractéristiques de différentes caractéristiques individuelles (sexe, classe, race…) mettent en place des expériences particulières d’oppression et de privilège. ↩︎
- Émeutes de Stonewall : de la nuit du 27 au 28 juin 1969, à New York, des officiers de police font une descente à l’interieur du Stonewall Inn, un bar gay clandestin.S’ensuivent trois nuits d’émeutes qu’on nomme « émeutes de Stonewall », marquant le début du mouvement militant LGBTQIA+. En honneur ce cet évènement, Barack Obama fit du Stonewall Inn un Monument National en 2016. ↩︎
- Le drapeau arc-en-ciel a été créé pour la Pride de 1978 à San Francisco par Gilbert Baker. ↩︎
- Nouveaux Mouvements Sociaux : nouvelles modalités d’action politique apparues dans les années 1960-1970. Le féminisme, l’environnementalisme et les mouvements LGBTQIA+ sont en général inclus dans cette nouvelle catégorie. ↩︎
Sources
GIAMI Alain, « Libération sexuelle et révolutions sexuelles », Encyclopédie d’Histoire Numérique de l’Europe, 23 juin 2020, URL :
https://ehne.fr/fr/encyclopedie/thématiques/genre-et-europe/de-la-transition-démographique-aux-révolutions-sexuelles/libération-sexuelle-et-révolutions-sexuelles [ Consulté le 31 mars 2025 ].
JASPARD Maryse, « En amont de la “révolution sexuelle”, première moitié du XXe siècle », in Sociologie des comportements sexuels,, ed. La Découverte, Paris, 2017, Chapitre 2, p. 33-46.
BRENOT Philippe, « Révolutions sexuelles », Le Monde, 17 avril 2015, URL :
https://www.lemonde.fr/blog/sexologie/2015/04/17/revolutions-sexuelles/ [ Consulté le 28 mars 2025].
EL MOKHTARI Mouna, «Stonewall, 1969, ou comment est née la lutte pour les droits LGBT, sur France 5 », Le Monde, 28 juin 2020, URL :
https://www.lemonde.fr/culture/article/2020/06/28/stonewall-1969-ou-comment-est-nee-la-lutte-pour-les-droits-lgbt-sur-france-5_6044478_3246.html [ Consulté le 28 mars 2025].
CHAUVIN Sébastien et LERCH Arnaud, « Mouvements politiques et associatifs », in Sociologie de l’homosexualité, ed. La Découverte, Paris, 2013, Chapitre 5, p. 79-92.
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