À peine six mois après Yannick, grand succès surprise cet été au box-office français, le nouveau film de Quentin Dupieux est sorti le 7 février.
Même si ses films passent souvent inaperçus, rappelons que Quentin Dupieux a tourné à treize reprises depuis 2000, et dirigé les acteurs les plus en vue du cinéma français (Alain Chabat, Jean Dujardin, Benoît Magimel, Benoît Poelvoorde…). Le réalisateur propose pour la première fois un biopic, qui se penche sur l’artiste espagnol Salvador Dalí (1904-1989). Ou plutôt, une sorte de biopic…
Dalí est joué par cinq comédiens différents (Jonathan Cohen, Gilles Lellouche, Édouard Baer, Pio Marmaï et Didier Flamand), comme autant de facettes et d’âges de l’artiste. On est bien loin ici du biopic qui retrace une enfance et une genèse des œuvres célèbres : le fil rouge du film est la tentative par une journaliste (Anaïs Demoustier) d’interviewer l’artiste, qui se révèle aussi insaisissable et fuyant que le film lui-même, dont la structure entre inception dans un rêve toujours recommencé et réflexivité « méta » rappelle la maestria de Réalité (2014).
Impossible en effet pour Dupieux d’écrire un film qui n’interroge pas l’acte de faire du cinéma et notre rapport à celui-ci en tant que spectateur. Le cinéaste semble en fait sonder le genre même du biopic : que signifie réellement « connaître un artiste » ? Le connaît-on mieux par son œuvre ou par ses interviews ? Dupieux réfléchit aussi sur nos obsessions, de la superficialité de notre époque à notre tendance à développer une fascination pour l’artiste plutôt que pour son œuvre elle-même.
Le choix de Salvador Dalí est loin d’être anodin. Figure de proue du surréalisme, ses peintures oniriques peuplées d’objets étranges et détournés ne sont pas très éloignées de l’univers absurde créé par Quentin Dupieux dans ses films : il pleut à l’intérieur des pièces dans Wrong (2012), un pneu devient un tueur en série dans Rubber (2010), une mouche géante est domestiquée dans Mandibules (2020), et rien peut-être n’illustre mieux la conception du temps dans ses films que la fameuse montre du tableau de Dalí La Persistance de la mémoire.
Cette proximité entre les deux artistes abonde dans le sens d’un glissement du cinéma de Quentin Dupieux vers une sensibilité nouvelle, déjà amorcée dans Yannick. Le cinéaste ne décrypte plus seulement le spectateur, mais désormais aussi l’artiste : par ce choix du prisme de l’interview obsédante, dépeint-il ici une réalité qui l’écrase dans sa propre carrière ? Et, lors d’une scène empreinte de mélancolie dans laquelle un Dalí âgé observe un jeune Dalí, on peut se demander si le regard que porte Dupieux sur Dalí n’est pas, en réalité, un regard pensif sur lui-même et sur son propre parcours artistique. Autrement, pour qui serait le sixième « a » de Daaaaaalí ?
Louise Pachurka
Crédit photo : © ATELIER DE PRODUCTION – FRANCE 3 CINEMA 2023