Affaire Kohler et pantouflage…

Dans la nouvelle rubrique « tribune », deux articles vont se répondre autour du même sujet d’actualité. Parfois ces articles engagés s’opposent, souvent ils se complètent, pour donner plusieurs points de vues et une vision approfondie du sujet car rien n’est toujours noir ou blanc…

Quand politique et transparence deviennent antagonistes

Le secrétaire général de la présidence de la République et bras droit du président, Alexis Kohler, se retrouve confronté à deux plaintes déposées, les 1er juin et 8 août derniers. Alexis Kohler est accusé de « prise illégale d’intérêts », « trafic d’influence » ou encore de « corruption passive ».

Entre 2010 et 2012, des accords commerciaux ont été passés entre Mediterranean Shipping Company (MSC) et le port du Havre. Àcette époque, M. Kohler siégeait au conseil de surveillance du port du Havre en tant que membre de l’APE (Agence des participations de l’État), une administration chargée d’incarner l’État au sein d’entreprises dans lesquelles il détient un capital. Mediapart reproche à Alexis Kohler de ne pas s’être déporté quand MSC, co-fondé par la cousine germaine de sa mère, était concerné. Il aurait même voté une disposition impliquant l’argent de l’État en faveur de MSC. De l’argent public pour des intérêt privés ?

C’est peut-être le cas : en effet, Alexis Kohler est ensuite devenu, en octobre 2017, directeur financier de la filiale croisière de MSC. Ces évènements ont été révélés par Mediapart, qui avait déjà accusé M. Kohler de conflit d’intérêts quand celui-ci siégeait au conseil d’administration de STX France, qui possédait en majorité les chantiers de Leroux Naval à Lorient et les chantiers de l’Atlantique à Saint-Nazaire et dont MSC était le principal client. C’est un sentiment de déjà-vu qui domine. La Madeleine de Proust a un goût amer : des haut fonctionnaires s’adonnent au pantouflage, pratique qui consiste à multiplier les allers-retours entre le public et le privé, mêlant ainsi intérêt général et intérêts personnels. Naît alors bien souvent le conflit d’intérêt.

La corruption dans la politique serait-elle devenue un marronnier de la vie publique ? Se poser la question est déjà dramatique. Des diamants de Giscard, jusqu’au commerce portuaire de Kohler, les politiciens sont mauvais joueurs. Ils jouent, ils perdent, mais ils ne payent pas.L’affaire Benalla n’est pas terminée, celle de monsieur Kohler ne fait que commencer. Deux affaires. Deux proches du président. Mais la tare est bien ancrée et les sanctions si peu infligées. Si l’hypocrisie était un sport, les politiques seraient des olympiens. En 2017, la confiance dans la vie politique devient un enjeu du président. Bayrou, alors garde des sceaux, en fait le titre de sa loi. Des semaines plus tard, il donne sa démission pour des emplois présumés fictifs au sein du Modem. Les liens de confiance
étaient déjà quelque peu distendus entre les gouvernants et les gouvernés, c’est désormais un fossé mouvant, qui se creuse jour après jour entre l’élite et son peuple.

Les politiques alimentent le discours du « tous pourris et rien pour le peuple ». En annihilant progressivement cette confiance, ne seraient-ils pas les bourreaux de leur propre monde ?

Sorb’on


Et pourtant… Moraliser la vie publique c’était son « projeeet »

Face à de telles affaires, on se rappelle d’une des grandes promesses d’E. Macron durant sa campagne : « moraliser la vie publique ». Ce point phare de son programme s’est traduit par une loi visant à restaurer « la confiance dans la vie politique », adoptée durant l’été 2017. Elle interdit notamment aux parlementaires d’embaucher leurs proches, aux collaborateurs d’être rémunérés par des lobbies et supprime la réserve parlementaire dont disposaient députés et sénateurs pour attribuer des subventions et qui pouvait être utilisée comme moyen détourné pour acheter des soutiens.

Cependant, après de nombreux amendements, la majorité des mesures qui auraient dû rétablir cette « confiance » est passée à la trappe. C’est le cas du principe du casier judiciaire vierge obligatoire pour se présenter à une élection. Alors qu’un professeur ou un caissier ne peuvent être embauchés s’ils ont eu affaire à la justice, un parlementaire qui a manqué à la probité peut exercer ses fonctions.De même, l’interdiction absolue pour un parlementaire d’exercer une activité de conseil n’a pas été adoptée. Un député peut donc conseiller des entreprises privées tout en étant censé représenter des intérêts publics s’il a commencé cette activité plus d’un an avant son élection.

Ces deux promesses de campagne écartées de la loi traduisent bien son caractère cosmétique. Elle répond aux polémiques les plus médiatisées, comme l’affaire Fillon avec l’interdiction d’embaucher des proches comme assistants parlementaires mais ne s’attaque pas aux problèmes de fond. Rien sur le pantouflage, l’indépendance de la justice ou le poids des lobbies sur les ministres. Aucune discussion sur la question du financement de la vie politique et en particulier des campagnes présidentielles qui font régulièrement l’objet de lourds soupçons de corruption.

Au vu des affaires récentes, on ne peut que déplorer la frilosité du gouvernement à prendre des mesures concrètes dans un contexte où la France est loin d’être une référence en matière de lutte contre la corruption*.

*La France est classée à la 23ème place du classement 2017 de perception de la corruption établie par l’ONG Transparency International. Elle est loin derrière ses voisins européens comme l’Allemagne (12ème) ou le Luxembourg (8ème).

Nicolas BENOIT

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