Ils payent aujourd’hui les mêmes frais de scolarité que tous les étudiants : 170€ en licence, et de 243 à 380€ en master ou en doctorat. Avec le plan « Choose France » annoncé par Édouard Philippe, les étudiants extra-européens paieront désormais 2 770€ en licence, et 3 770€ en master et doctorat. Le 1er décembre, plusieurs associations et syndicats étudiants appelaient à manifester contre cette hausse.
Au programme
Dans la mesure où une réforme gouvernementale est au cœur des débats, il convient souvent de rappeler ce qui est réellement prévu, et pourquoi ces décisions ont été prises.
Tout débute avec un rapport de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques) en 2016, qui dénombre 5 millions d’étudiants en mobilité internationale à travers le monde, et qui prévoit un doublement de ce chiffre dans les prochaines années. La France comptait environ 300 000 étudiants étrangers en 2017-2018, ce qui classe le pays au 4e rang mondial (derrière les États-Unis, l’Angleterre et l’Australie, juste devant l’Allemagne), et le premier pays non anglophone. Ces étudiants représentent 12% du corps étudiant, ce qui n’est pas exceptionnel. En revanche, on remarque une spécificité : 43% de ces étudiants viennent d’Afrique (25,5% d’Europe, 18% d’Asie & Océanie, et seulement 9% des Amériques).
Il faut noter que le nombre d’étudiants étrangers augmente en France, mais nettement moins rapidement que dans les autres pays. Mais pourquoi et comment y remédier ? Un rapport avait suggéré en 2015 d’augmenter les frais d’inscription : on sait que dans certaines cultures, un diplôme cher est synonyme de meilleure qualité. L’État continuerait donc d’assurer entre 2/3 et 3/4 du coût des études pour ces personnes (11 510€ en 2016).
Il existe cependant d’autres mesures mises en places. Ces augmentations permettraient en effet de financer une meilleure qualité d’accueil pour ces étudiants (faciliter l’accès au logement, attribuer un référent à chacun, faciliter les démarches d’obtention d’un visa), ainsi qu’une augmentation du nombre de bourses (jusqu’à 15 000, dont des exonérations complètes pour les plus démunis, attribuées par le Quai d’Orsay, ainsi que 6 000 bourses supplémentaires que les universités attribueront elles-mêmes).
Toutes ces mesures ne concernent par ailleurs pas les étudiants de l’Espace Économique Européen, ni ceux déjà présents en France et ne changeant pas de cycle d’études (ceux déjà en 1è année de Licence ou Master par exemple), ou encore les ressortissants des pays en accord avec la France, en Erasmus, réfugiés, ou possédant le statut de « résident français ». Cela encouragerait les établissements à former des accords à l’étranger, puisque leurs étudiants seraient alors également exonérés. Par ailleurs, des politiques sont également mises en places pour labelliser les formations FLE à destination des étudiants non francophones, ainsi que pour développer les formations faites en anglais.
Jeanne VILLECHENOUX
Où vont nos universités ?
L’objectif revendiqué de l’augmentation des frais de scolarité pour les étudiants extra-européens : « développer l’attractivité » de l’enseignement supérieur français. La promotion de la qualité de nos enseignements, où encore la mise en avant de la diversité des parcours proposés à l’université seraient sans nul doute des facteurs bien plus prometteurs — et bien moins hypocrites — d’attractivité.
La mesure institutionnalise plutôt une forme d’élitisme dans l’enseignement supérieur français. En finir avec la sélection par tirage au sort : c’était l’objectif de la loi Orientation et Réussite des Étudiants du 8 mars 2018. Orientant les néo-bacheliers en fonction des résultats, des expériences extrascolaires ou encore du projet professionnel, elle instaurait bien, sous couvert d’égalité des chances, une forme de sélection sur critères culturels – et, sans le clamer trop haut, économiques. Cette dynamique élitiste réapparaît avec la hausse des frais de scolarité pour les étudiants étrangers. Car la hausse pour ces étudiants pourrait être le point de départ d’une hausse généralisée. Demandons à Margaret Thatcher ce qu’elle en pense. Dès 1980, les frais de scolarité pour les étudiants étrangers augmentent en Grande-Bretagne. L’augmentation s’étend progressivement à tous les étudiants britanniques, qui payent en moyenne 10 000 livres aujourd’hui.
La mesure aurait beau ne pas s’étendre, elle resterait discriminatoire. Pour le gouvernement Philippe, il n’est pas question de sélection, mais d’égalité vis-à-vis des étudiants français, dont les parents payent des impôts en France, à l’inverse des étudiants extra-européens. En effet, les « étudiants concernés par la mesure ne payent pas d’impôts sur le revenu — comme 43% des foyers fiscaux en 2017.
Le gouvernement promet jusqu’à 15 000 bourses. Suffiront-elles ? C’est un pari risqué sur l’avenir, alors que plusieurs chiffres montrent que les étudiants extra-européens sont
bien souvent les moins aisés. À l’AGORAé Paris, épicerie solidaire où les étudiants peuvent bénéficier de prix attractifs, on compte 52% d’inscrits français, 2% d’étrangers membres de l’UE, et 46% d’étrangers hors UE. Au niveau national des AGORAés, ce chiffre grimpe à 67%.
Avec cette mesure, le gouvernement l’assume : étudier est devenu une question d’argent. Qu’importe les étudiants visés par la hausse, celle-ci instaure l’idée que les études supérieures ne sont pas un droit, mais un service rendu. Avec cette mesure porteuse d’une forme de discrimination, la France peut-elle réellement rester modèle d’égalité et d’ouverture ?
Margot BRUNET