Lundi 16 septembre, au cours d’un discours à l’ensemble des députés LREM, Emmanuel Macron affichait sa volonté d’aborder le thème de l’immigration dans la seconde partie de son quinquennat. Sujet hautement explosif, il n’est pas rare d’entendre de nombreuses approximations voire de fausses affirmations dès qu’il s’agit d’immigration. Alma Mater vous propose alors un tour d’horizon de la littérature économique afin que vous soyez les mieux armés pour participer au débat.
« La France ne peut pas accueillir toute la misère du monde … » disait déjà en 1989 Michel Rocard, premier Ministre à l’époque. Régulièrement citée depuis, cette formule suggère qu’une économie peu vigoureuse n’est pas capable d’accueillir des immigrés. Faudrait-il alors réguler l’immigration pour des raisons économiques ? Pas si sûr.
Le modèle théorique le plus simple dira pourtant que oui. En effet, dans une économie où le nombre d’emplois est fixe (on dit que la demande de travail est constante), une arrivée de nouveaux travailleurs (une augmentation de l’offre de travail) fait mécaniquement augmenter le taux de chômage. Les immigrés et français entrent alors en compétition et tout travail trouvé par un immigré se fait au détriment d’un Français. Pire, dans une économie en compétition “pure et parfaite”, cette hausse de l’offre de travail entraîne même une baisse des salaires. C’est donc sur cette réflexion simpliste que repose tout le discours de ceux qui justifient le contrôle des frontières pour des raisons économiques.
La réalité est toutefois légèrement plus complexe. Outre le fait que la compétition “pure et parfaite” sur le marché du travail n’existe pas, rendant de facto le précédent modèle caduque, d’autres arguments laissent suggérer que l’arrivée d’immigrés peut avoir un effet positif.
Les travailleurs immigrés et français ne sont pas forcément en compétition
Le premier point positif est que les travailleurs immigrés et français ne sont pas forcément en compétition. Au contraire, il est fort possible que, compte tenu de leurs différences de formations et de parcours, ils soient complémentaires. La coopération entre ces deux types de travailleurs pourrait alors être bénéfique, aussi bien aux Français qu’aux immigrés. Malheureusement, les travailleurs aux compétences semblables à celles des immigrés seraient tout de même en compétition avec ces derniers. La question est donc de savoir s’ils seraient impactés ou si, au contraire, les immigrés accepteraient des emplois délaissés par les Français.
De plus, il est peu probable que la quantité d’emplois soit fixe. Il y a en faite une chance qu’elle varie avec l’immigration. L’arrivée d’immigrés correspondant à l’arrivée de nouveaux savoirs, consommateurs ou futur entrepreneurs, l’immigration impacterait d’autres grandeurs économiques. La consommation pourrait augmenter poussant les entreprises à embaucher de nouveaux salariés. Mieux encore, les immigrés pourraient transmettre leur savoir afin de favoriser l’innovation. Enfin, certains pourraient même aller jusqu’à créer leurs propres entreprises comme le montre le rapport de l’OCDE Perspectives sur les migrations internationales en 2011. Ainsi, le stock d’emplois ne resterait pas figé mais augmenterait.
Ces derniers éléments suggèrent ainsi que l’immigration n’a pas forcément un impact négatif sur l’économie, cela pourrait même être le contraire. Toutefois, ces éléments ne restent que des suppositions théoriques auxquels il convient de préciser quelques faits. C’est ce que la littérature empirique a cherché à faire. Pour cela, de nombreux événements épisodiques et très localisés à propos de fortes migrations furent étudiés. Parmi eux, on retrouve notamment l’épisode de l’Exode de Mariel où de nombreux cubains, dont Tony Montana, héros de Scarface, rejoignirent Miami. D’autres études à l’échelle de tout un pays et sur de plus longues périodes furent également menées. Ainsi, les flux réguliers tout comme les forts pics d’immigration ont été observés.
L’impact de l’immigration sur le marché du travail est proche d’être nulle
Bien que les méthodes utilisées, le contexte, le nombre d’immigrés ou bien les résultats observés diffèrent, toutes les études s’accordent cependant sur un point : l’impact de l’immigration sur le marché du travail est proche d’être nulle. Les immigrés ne font ni augmenter le chômage des travailleurs natifs et ni baisser leurs salaires. En effet, même si une grande partie des études n’observe aucun effet, certaines observent un effet négatif ou positif. Les effets obtenus sont toutefois tellements faibles qu’il est impossible d’affirmer avec certitude que l’immigration est une chance ou une malchance pour les travailleurs natifs. Selon le consensus, il est plus prudent de voir l’immigration comme neutre pour l’emploi des non-immigrés.
Certaines études vont plus loin et décomposent l’effet de l’immigration en fonction de la qualification des travailleurs touchés. Selon cet exercice, il semble néanmoins que les salariés les moins biens formés soient quelque peu impactés négativement par l’arrivée des immigrés. Au contraire, ce phénomène profite aux travailleurs les plus qualifiés. Certaines études montrent cependant que des outils comme le SMIC ou la législation du travail en France offrent une protection supplémentaire aux travailleurs qui ne sont alors presque pas impactés par de telles arrivées. Cela se fait toutefois au détriment des immigrés qui ont alors encore moins de chance de trouver un emploi.
L’immigration augmente les richesses de chacun
Enfin, différentes études s’intéressant à l’impact des immigrés sur la croissance économiques à long terme ont également vu le jour. Contrairement aux précédentes études, leurs résultats vont tous dans le même sens :l’immigration augmente les richesses de chacun. L’arrivée de nouveaux savoirs et individus ayant suivi différentes formations à travers l’immigration explique en grande partie cet effet. Encore une fois, la complémentarité entre immigrés et non-immigrés joue ici un rôle clé. Bien que l’impact soit plus élevé lorsqu’il s’agit d’une immigration venant d’économies avancés, il n’en reste pas moins positif pour les immigrés venant de pays en développement. Une des solutions pourrait alors être de redistribuer les gains générés aux travailleurs moins qualifiés qui, dans certains cas, sont négativement impactés par l’arrivée de travailleurs immigrés.
Bien évidemment, ces considérations ne sont pas suffisantes pour guider la politique migratoire d’un pays. D’autres considérations économiques mais aussi humaines, sociales et culturelles méritent tout autant, voire plus d’être prises en compte. Il n’en demeure pas moins que oui, la France et l’Europe peuvent accueillir « toute la misère du monde ».
Alban George, diplômé d’un master d’économie, spécialisation sur les questions migratoires.
Source : https://www.strategie.gouv.fr/sites/strategie.gouv.fr/files/atoms/files/fs-rapport-2019-immigration-juillet-2019.pdf et ses références.