« Dans toute société, il y a une forme structurelle qui s’appelle enfance, mais qui est variable dans le temps et dans l’espace social » explique Régine Sirota, sociologue, professeure à Paris Descartes, dans un interview avec le magazine Éducation et Sociétés. Ces premières années de vie, période clé pour l’enfant, lui permettent de se construire en tant que personnalité indépendante et douée de réflexion. De ce temps et de cet espace social naissent diverses habitudes et règles de conduites tacites : les normes. Les normes liées au sexe et au genre sont ce qu’on appelle les normes sexospécifique.
Gender reveal parties et bébés conditionnés
Les normes et attentes de la société arrivent très tôt dans la vie d’un nouveau-né, souvent avant même sa naissance. C’est ce qui est régulièrement reproché aux gender reveal parties, fêtes organisées par les futurs parents pour dévoiler le sexe du bébé. Cette préoccupation ancienne nous ramène quelques siècles en arrière quand il était préférable d’avoir un garçon comme héritier, pour conserver le nom et les terres familiales. Aujourd’hui, ces raisons ne sont plus d’actualité, mais près de 91 % des couples souhaitent connaître le sexe de l’embryon. C’est ce qu’indique le bulletin Population et Sociétés de décembre 2023 par l’Institut national d’études démographiques. Cette même étude parle du « processus d’humanisation progressive » du fœtus, c’est-à-dire comment celui-ci est inscrit dans un monde genré.
George F. Winter publie l’article Determining Gender : a social construct ? en 2015. Il y montre que le sexe est déterminé biologiquement dès la conception de l’embryon. En revanche, pour lui, le genre est une construction sociale déterminée par l’expérience des individus en tant qu’homme ou femme, étant en grande partie appris par des indices environnementaux et sociaux. En gardant ses définitions en tête, il est juste de dire que ces gender reveal parties suivent les conventions traditionnelles en renforçant l’idée que le sexe biologique détermine les intérêts et le comportement de l’enfant. Involontairement ou non, elles perpétuent les normes sexospécifiques comme du rose, des princesses et des licornes si les parents attendent une fille ou du bleu, des dragons et des voitures s’ils attendent un garçon. Elles confortent donc réellement l’enfant dans des cases préétablies.
Personnalités et comportement prédéfinis
Une étude de l’Université de la ville de New York confirme les distinctions de personnalité faites dès la plus tendre enfance. L’étude « Baby X : The Effect of Gender Labels on Adult Responses to Infants » s’est penchée sur le comportement des adultes quand les chercheurs les ont fait interagir avec des nourrissons. Trois cas se présentaient : le bébé était présenté comme un garçon, comme une fille ou sans préciser son sexe. L’enfant avait devant lui trois jouets : une petite balle, une poupée et un objet en plastique flexible. L’indication du sexe du bébé a eu une influence particulière sur les adultes (tous genres confondus) dans leur manière d’être, de communiquer et de jouer avec l’enfant. L’étude répertorie le choix du jouet, mais aussi la fréquence des contacts physiques de l’adulte envers l’enfant, la fréquence de bisous et de sourire. Les adultes avaient ainsi tendance à utiliser principalement la poupée quand le bébé était déclaré comme fille. Quand aucune information n’était divulguée sur le sexe de l’enfant, les femmes faisaient jouer le bébé avec la poupée et interagissaient beaucoup avec ce dernier. Les hommes, eux, ont préféré le jouet neutre et cajolaient moins l’enfant. Ce qui s’est vraiment fait remarquer est la propension des adultes à deviner le sexe du bébé. C’était en réalité une fille, mais la majorité des adultes supposait qu’il s’agissait d’un garçon. Selon eux, ils s’étaient basés sur le physique et sur le comportement (pleurs, entrain, rires, force ou douceur).
Pascale Molinier, professeure de psychologie à Paris XIII – Villetaneuse revient sur ces « Baby X Studies ». Un bébé qui pleure, catalogué soit « fille » soit « garçon » est montré à des adultes. Ils associent plutôt des pleurs de peur pour les « filles » mais de colère pour les « garçons ». Les résultats montrent les filles comme douces, délicates, fragiles et à protéger tandis que les garçons, eux, ne sont pas impressionnables, mais courageux et avec un caractère bien trempé. Par ailleurs, c’est autour des deux ans du bambin qu’il entend de vive voix ces normes sexospécifiques via son entourage qui lui dit qu’« un vrai garçon ne pleure pas » et qu’« on ne s’énerve pas quand on est une gentille fille ».
Ainsi, dans le bulletin De la nécessité de transformer les normes sociales pour parvenir à l’égalité entre les sexes, le Fonds des Nations unies pour la population ne condamne pas d’associer la délicatesse ou la cuisine aux filles ni le courage et la force au garçons, mais plutôt de ne pas s’en limiter : aller au-delà de ces idées pour amener à une égalité des sexes et des genres.
Ariane Rogel
Sources
https://elfe-france.fr/fr/resultats/sciences-sociales/devenir-parents-d-une-fille-ou-d-un-garcon
https://www.proquest.com/docview/1652466988?sourcetype=Scholarly%20Journals
https://interstices.info/wp-content/uploads/jalios/metiers/femmes-sciences.pdf
http://empreinte.asso.univ-poitiers.fr/normes-sociales-naitre-une-femme-naitre-un-homme/
https://enseignerlegalite.com/petite-enfance/stereotypes-sexuels-chez-les-tout-petits