Les éditeurs pirates, des corsaires bibliophiles ? Plutôt des personnes qui éditent et commercialisent des œuvres littéraires – qui, la plupart du temps, sont déjà disponibles en librairie – sans en avoir le droit, et à moindre coût. Avant Internet, ces copies à la couverture en carton, aux lignes serrées et aux marges réduites étaient diffusées secrètement dans des réseaux alternatifs. Cette pratique était très courante dans les années 1960 parmi les militants anarchistes d’Allemagne de l’Ouest, qui éditaient illégalement des textes marxistes ou des romans sur le prolétariat pour les rendre le plus largement accessibles.
Aujourd’hui, les moyens ont changé, les pirates trouvent en Internet l’espace rêvé pour prendre, copier et diffuser librement. Et avec l’avènement du livre numérique, télécharger illégalement un texte est devenu un jeu d’enfant.
Mais derrière la piraterie éditoriale se trouve aussi parfois une posture intellectuelle et politique bien affirmée, selon laquelle l’œuvre, une fois rendue publique, n’appartient plus à son auteur, qui ne mérite donc pas d’avoir des droits dessus ni d’être rétribué. Il n’est ici plus tellement question de faire des économies, mais plutôt de s’approprier une œuvre et la faire exister différemment, indépendamment des souhaits de son créateur.
C’est ce que Gérard Berréby – fondateur de la maison d’édition indépendante Allia – avait en tête en 1979, en réalisant un fac-similé de l’édition Gallimard de 1928 du Traité du style de Louis Aragon. Celui-ci refusait que son livre soit réimprimé, ses idées ayant évolué à la suite de son ralliement au Parti communiste. Il y défendait en effet une posture surréaliste contre l’État, l’armée ou encore l’académisme littéraire. Mais Gérard Berréby trouvait injuste de priver les lecteurs de ce texte, et, dans un geste à mi-chemin entre canular et professionnalisme, avait donc diffusé dans les librairies parisiennes 1 000 exemplaires, sans préciser qu’il s’agissait de faux. Ces contrefaçons étaient des copies parfaites de l’original, à l’exception de la quatrième de couverture sur laquelle figurait ironiquement cette phrase du surréaliste belge Louis Scutenaire, « Ici gît Aragon Louis. On n’est pas sûr que ce soit lui. »
Pour connaître la fin de cet événement, Alma vous recommande chaleureusement la lecture des Documents relatifs à l’édition du Traité du style de Louis Aragon par Gérard Berréby, un entretien entre Gérard Berréby et Amélie Noury publié aux éditions Incertain Sens.
Manon Dardelle
Crédits photographiques : Anonyme, Hundreds of open books, licence Creative Commons 0 1.0 Universal, Rawpixel, https://www.rawpixel.com/image/3237432.